Entretien par Karin Tshidimba
Membre du jury longs métrages au Festival international du film francophone (Fiff) de Namur, qui ouvre ses portes ce vendredi, Issaka Sawadogo, comédien burkinabé, navigue entre théâtre, petit et grand écrans. En ce moment, il s’illustre dans deux séries tournées en Guyane, l’une pour Canal+, l’autre pour Arte. Et il prépare le premier Festival des séries africaines attendu en 2018 à Ouagadougou.
En deux années, l’acteur est aussi passé du pays le plus riche – la Norvège où il a résidé durant 22 ans – à l’un des plus pauvres au monde, le Burkina Faso. Un retour aux sources qui le voit multiplier les projets au service de la culture sur la terre de ses ancêtres.
L’homme est taillé dans un tronc. Du bois d’ébène, bien sûr. Sa carrure et sa haute stature lui assignent des rôles de types peu amènes, souvent patibulaires. Dans « Guyane », la série de Canal+, il est Louis, bras droit d’un chercheur d’or. Un barbouze à qui personne ou presque ne parvient à décrocher un sourire. Dans « Maroni », série présentée au Festival de la fiction TV de La Rochelle, attendue en 2018 sur Arte, il est le commissaire Koda, homme fort et flic intraitable tentant de garder son collègue loin des abysses où l’entraîne son enquête.
« Ils m’ont surnommé le maire de Guyane »
A la ville, Issaka Sawadogo est un quinqua souriant et même charmant. Une montagne mue par un profond désir de partage et de transmission. C’est pour cette raison qu’il a multiplié les ateliers et rencontres lors de ses deux séjours, de neuf mois au total, dans les Antilles françaises, pour les besoins de ces deux séries télévisées successives. Une population avec laquelle il a établi une “connexion particulière”, comme s’il avait toujours vécu là-bas. Passant dans les classes, il a discuté avec élèves, professeurs et parents des opportunités à saisir pour ce territoire qui n’a de français que le nom. Au point que le comédien a été surnommé “le maire de Guyane” en raison de ses actions visant à doper le développement et à améliorer la réputation du pays.
« Je m’y suis senti comme en Afrique: c’est un pays sous-développé où les minerais sont encore plus mal gérés qu’en Afrique et où la population manque d’infrastructures de base pour le développement. Ça m’a beaucoup touché : c’est le poumon du monde par la forêt, c’est un pays plein de potentiels mais il est laissé à l’abandon. C’est pourquoi il faut réussir à faire ressortir le meilleur de la Guyane à travers la série, ne pas laisser ce bijou en l’état: violence, drogue, alcool, prostitution… »
Ce goût du partage et de la découverte façonne Issaka Sawadogo depuis des années. Depuis qu’il a été repéré par le Théâtre National de Norvège et a accepté de partager sa vie entre Oslo et Burkina Faso. Après ce long séjour en Europe du Nord (22 ans tout de même !), il s’est réinstallé à Ouagadougou. Il y poursuit son travail auprès des comédiens burkinabés, sans oublier ses attaches européennes, aux Pays-Bas, en France et en Belgique. Car c’est le film de Marion Hänsel qui l’a propulsé sur le devant de la scène internationale. “Si le vent soulève les sables” l’a mené ensuite vers Nicolas Provost (“The Invader”) puis Olivier Nakache et Éric Toledano (“Samba” aux côtés d’Omar Sy) ou Joost Van Ginkel “The paradise suite”, des films qui abordent frontalement la question des migrations. En juin dernier, l’acteur a d’ailleurs été primé au Nederlands Film Festival (Nedfilmfestival ou NFF) pour son rôle dans ce long métrage. Comme le rappelle la photo ci-dessus.
Des projets en séries
A force de séjourner en Europe et de voyager dans les festivals, l’envie l’a taraudé de créer un Festival de séries africaines rattaché au célèbre Festival panafricain du cinéma (Fespaco) de Ouagadougou. « J’ai vu les possibilités que nous avions en Afrique et j’ai eu envie de réveiller les potentialités africaines. » En juin dernier, il rencontre les concepteurs du Festival « Série Series » à Fontainebleau et entame des discussions pour lancer un festival africain de séries en 2018. « Ils avaient la même envie, nos deux intérêts se sont croisés. L’essor de la série en Afrique est plus récent que celui du cinéma et doit être soutenu. »
Ce dessein s’ajoute à deux autres déjà menés à bien : la création, en 1996, du Cito, Carrefour international du théâtre de Ouagadougou, un des grands théâtres indépendants de l’Afrique de l’Ouest. Et le réseau Kangourou, né en 2011 : une école maternelle et une école primaire où l’éducation à la culture est introduite par la pratique. Son but ultime est la création d’une Académie des Beaux-Arts mais pour cela, il faut poser les jalons d’une “formation artistique complète”, d’où la nécessité de commencer dès le plus jeune âge.
Autodidacte, Issaka Sawadogo croit à la force des ateliers et master classes pour améliorer la formation des comédiens et réalisateurs de Ouaga afin de s’imposer face aux géants audiovisuels de la Côte d’Ivoire et du Nigeria. Ce parcours de formation, il le soigne entre deux tournages, regrettant de n’avoir pas suffisamment de temps pour retourner fouler les planches…