Par Clémence Cluzet, correspondante à Dakar
La coalition présidentielle a désormais son candidat : le premier ministre Amadou Ba a été désigné, samedi 9 septembre, successeur du Président Macky pour l’élection présidentielle de février 2024. Un nouveau rôle, dont le premier défi est le maintien de l’unité dans les rangs du pouvoir.
L’attente aura durée un peu plus de deux mois depuis l’annonce du président Macky Sall de ne pas se représenter à l’élection présidentielle du 25 février 2024. La coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (Unis par l’espoir – BBY) a finalement désigné officiellement son candidat samedi 9 septembre en fin d’après-midi dans une allocution retransmise à la télévision nationale. « Nous avons retenu Mr Amadou Ba, actuel Premier ministre, comme candidat de Benno Bokk », a déclaré Moustapha Niasse, chargé par le président d’auditionner les différentes candidatures.
Le choix du dauphin, s’il a tenu en haleine la classe politique, n’a pourtant rien de surprenant. « Le suspense était maintenu artificiellement » assure Moussa Diaw, docteur en sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Âgé de 62 ans, Amadou Ba était annoncé comme favori parmi les dix autres candidats désireux de revêtir le costume de dauphin de Macky Sall. Aussitôt après l’annonce officielle, la coalition présidentielle a partagé sur les réseaux sociaux une affiche de campagne revendiquant « un choix cohérent, pour une victoire dès le premier tour ». Technocrate formé à l’Ecole Nationale d’Administration et passé par la magistrature, sa nouvelle nomination apparait comme la suite logique de son parcours ascendant : inspecteur des Impôts, il dirige les Impôts et Domaines avant d’occuper plusieurs portefeuilles ministériels. En tant que ministre de l’Economie et des Finances de 2013 à 2019, il devient l’un des artisans de la mise en application du Plan Sénégal Emergent (PSE), programme phare de développement de Macky Sall. Nommé ensuite ministre des Affaires étrangères (2019-2020), il se forge une stature à l’international et se créer ainsi un large réseau, notamment en France, ce qui lui vaut d’être perçu par certains de ses détracteurs comme le « candidat du Quai d’Orsay ». A l’inverse, il rassure les investisseurs et bailleurs internationaux, un atout après des mois de tensions et troubles politiques dans le pays.
Crispations et défi de l’unité
Choisit pour être « un leader rassembleur » au sein de la coalition présidentielle et au-delà, l’énarque devra relever un défi conséquent : maintenir et consolider la coalition. « C’était le meilleur choix pour ne pas provoquer l’implosion de BBY même s’il y a déjà des réactions » avance Moussa Diaw. Les premières divisions ne se sont en effet pas faites attendre : Aly Ngouille Ndiaye, ministre de l’agriculture, a remis sa démission sitôt l’annonce de la candidature d’Amadou Ba rendue officielle. D’autres risquent de suivre, fragilisant ainsi la coalition. « Le pouvoir souhaitait un candidat fédérateur mais il y a déjà des remous et des voix discordantes, notamment à l’Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall » souligne Babacar Ndiaye, analyste politique au sein du think thank WATHI. Macky Sall lui-même a assuré que « la victoire était à portée de main » tout en soulignant qu’il fallait relever « le défi de l’unité ». Au sein de l’APR, certaines mâchoires se sont crispées face à ce « candidat désigné et imposé par le président » selon Mr Diaw. « Amadou Ba n’a rejoint le parti qu’en 2013/2014. Sa légitimité est contestée par des militants historiques » détaille l’analyste politique. Autre critique à son encontre : il n’est pas un militant de terrain et n’a pas d’ancrage solide. Il n’a d’ailleurs jamais occupé de poste électif. A moins de six mois des élections, le défi de s’imposer au sein de la coalition mais aussi de gagner en popularité est urgent. Discret et peu à l’aise devant les médias, Amadou Ba s’est tenu relativement à l’écart des débats qui ont agité le pays, prenant soin d’éviter les polémiques. Il devra ainsi s’affirmer et faire oublier cette « étiquette de fonctionnaire milliardaire qui joue contre lui» rapporte Moussa Diaw.
Stratégie de la continuité
« Les Sénégalais souhaitent du changement. Des sujets comme le chômage, les dysfonctionnements de la démocratie, etc doivent être abordés et traités différemment. Quelle politique Amadou Ba va-t-il proposer ? » questionne-t-il. Pilier de la politique du président, qui loue ses qualités d’ « humilité et d’écoute », le dauphin s’inscrit dans la poursuite des politique économiques, politiques et sociales de Macky Sall qui l’a missionné pour perpétuer son héritage. « Le mot d’ordre est clair : il faut poursuivre le PSE et il est le mieux placé pour cela. Pour autant est-ce que la population souhaite cette continuité ? Il devra aussi endosser le bilan de son prédécesseur et risque de recevoir des tirs groupés » prédit Babacar Ndiaye. L’opposition politique ne manquera pas de l’attaquer à ce sujet et s’il se contente d’être dans la lignée de son prédécesseur. C’est cette opposition qui a fait une percée aux élections locales mais qui se trouve dispersée depuis l’arrestation d’Ousmane Sonko, principal opposant politique, dont le parti a été dissout le 31 juillet et qui a été radié des listes électorales, qu’il devra vaincre pour permettre à son camp de rester au pouvoir. Le jeu politique est plus que jamais ouvert : une trentaine de candidatures sont déjà annoncées pour février prochain.