Niger : Le coup d’État de trop pour la région du Sahel

Niger : Le coup d’État de trop pour la région du Sahel

La Cédéao continue de mettre la pression sur la junte en donnant le feu vert pour une intervention militaire.

Jeudi soir les chefs d’États de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont donc donné leur feu vert à une intervention militaire au Niger. La junte qui a renversé le président Mohamed Bazoum le 26 juillet avait déjà été mise en demeure par l’organisation régionale qui lui avait donné une semaine pour rendre le pouvoir au président déchu toujours détenu avec sa famille dans la résidence présidentielle.

Ce vendredi, la communauté internationale a multiplié les messages inquiets sur la situation de Mohamed Bazoum. L’Union européenne a exprimé sa “profonde inquiétude” face à “la détérioration des conditions de détention” de M. Bazoum, retenu prisonnier avec sa femme et son fils. ils “seraient, selon les dernières informations, privés de nourriture, d’électricité et de soins depuis plusieurs jours […]. Rien ne permet de justifier un tel traitement”, a dénoncé le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell. Le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a lui aussi exprimé “ses vives préoccupations” sur “la détérioration des conditions de détention” de M. Bazoum.

Et la perspective d’une intervention militaire de la Cédéao fait craindre pour sa sécurité : selon un de ses proches, les putschistes ont brandi “la menace” de s’en prendre à lui si une telle opération était lancée.

La guerre est-elle inévitable ?

Non. La Cédéao ne cache pas qu’elle espère toujours parvenir à une résolution pacifique de la crise. Elle n’a d’ailleurs précisé aucun calendrier, ni le nombre ou l’origine des militaires composant cette “force en attente”. Le bloc ouest-africain, plus large que la Cédéao, n’a jamais écarté la voie diplomatique pour rétablir M. Bazoum.

La France et les États-Unis, de leur côté, ont marqué leur soutien à la Cédéao avec des accents différents. Paris a réitéré “sa ferme condamnation de la tentative de putsch en cours au Niger”. Du côté américain, le chef de la diplomatie Antony Blinken a déclaré soutenir la Cédéao mais sans oublier d’ajouter que “Les États-Unis apprécient la détermination de la Cédéao à explorer toutes les options pour une résolution pacifique de la crise”.

Pourquoi cette mobilisation ?

Les pays de la Cédéao ne cachent pas qu’ils craignent un mouvement de contagion. “Il ne faut jamais oublier que tous ces gradés se connaissent dans la région. Ils voient que leurs confrères, qui ont parfois étudié sur les mêmes bancs d’école, ont pris des décisions radicales qui les ont menés au pouvoir. Cela peut donner des idées, surtout si le pouvoir politique, souvent accusé d’être incapable de faire front face aux menaces, ne réagit pas”, expliquait la semaine dernière un diplomate africain. Pour lui, “la crise du Niger est celle de trop pour les chefs d’États de la région. Ils ne peuvent pas rester sans réaction même si ce sera compliqué”.

Les militaires, eux, mettent en avant le fait que les erreurs politiques et la poussée islamiste, notamment, ont des effets terribles dans leurs rangs. Frédéric Lejeal, africaniste, explique d’ailleurs dans son ouvrage sur “Le déclin franco-Africain” (L’Harmattan) que “les militaires paient le plus lourd tribut”. Il énumère une impressionnante série d’attaques au Burkina Faso, au Mali et au Niger entre 2019 et 2021. Elles ont causé des dizaines de morts parmi les militaires de la région. Il écrit notamment qu’En mars 2021, l’élection de Mohamed Bazoum à la tête du Niger est accueillie par un déferlement d’attaques”.

Les juntes font-elles mieux que leurs prédécesseurs ?

Non. Les cartes du Mali sont significatives. La junte a continué à perdre du terrain face aux djihadistes. Le constat est similaire au Burkina Faso où les mouvements islamistes poursuivent leur progression. L’arrivée des mercenaires de Wagner au Mali n’a pas changé cette donne.

Jusqu’ici, ces juntes bénéficient de l’impact puissant des réseaux sociaux alimentés par les usines à trolls russes qui ont mis en avant la responsabilité des Occidentaux et en particulier la France dans cet échec face aux islamistes. Il est frappant de constater à quel point certains pourfendeurs de l’Occident, se présentant comme des chantres du panafricanisme se jettent dans les bras de Moscou. “Vous connaissez beaucoup d’Africains qui vont dépenser leur argent pour acheter des posters à l’effigie de Poutine ou des drapeaux russes ? L’activisme de la diplomatie russe sur le terrain est terriblement efficace”, martèle notre diplomate venu d’Afrique centrale.

L’armée nigérienne peut-elle résister ?

L’armée du Niger ne dépasse guère les 5 000 hommes. “Les armées du Sahel, comme la plupart des armées africaines, sont sous-équipées, corrompues et en sous-effectif”, explique Frédéric Lejeal. Les armées du Burkina Faso et du Mali, qui ont promis assistance à leurs frères d’ares de Niamey en cas d’attaque font à peine mieux “mais il ne faut pas oublier que ces armées doivent faire face à des situations sécuritaires très complexes sur leur territoire national. Elles ne vont donc pas pouvoir mobiliser de nombreux militaires”, poursuit-il. Reste à savoir qui composerait la force d’intervention et combien d’hommes en feront partie. La vraie force militaire régionale, c’est sans conteste le Nigeria qui dispose d’une armée de plus de 135 000 hommes. Mais eux aussi doivent faire face à une situation sécuritaire très compliquée, sans oublier un vrai lien ethnique entre militaires nigériens et nigérians. “Il ne faut perdre de vue le soutien populaire. Cette intervention, si elle doit avoir lieu, ne sera pas bien acceptée dans la région et on peut faire confiance aux Russes pour encourager ce mouvement sur les réseaux sociaux”, explique notre diplomate. L’équilibre entre un laisser-aller porteur de risques de contagions et une intervention, vécue comme une répression, est très délicat. “Il faut absolument encore laisser du temps à la négociation. Tout le monde sera perdant en cas d’intervention militaire”, poursuit le diplomate.

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