Le continent africain, otage de la guerre des céréales entre Moscou et Kiev ?

Le continent africain, otage de la guerre des céréales entre Moscou et Kiev ?

Guerre en Ukraine Un sommet Russie-Afrique s’ouvre à Saint-Pétersbourg ce jeudi, pour aborder entre autres la question de la fourniture de maïs et de blé.

Deux mois après avoir été annoncée par le président Volodymyr Zelensky, la contre-offensive ukrainienne peine toujours à fournir les résultats escomptés. Les avancées territoriales sont maigres, malgré des combats acharnés. Depuis dix jours, les yeux du monde entier sont donc rivés plus au sud, le long de la mer Noire, où se joue désormais une « guerre des céréales ».

Il y a précisément un an, Moscou et Kiev signaient un accord sous l’égide de la Turquie et des Nations unies, afin de garantir l’exportation de céréales ukrainiennes, cruciales pour l’alimentation mondiale. Prolongé à plusieurs reprises, l’accord a depuis permis de faire sortir 33 millions de tonnes de céréales des ports ukrainiens malgré le conflit. Mais les autorités russes, qui dénoncent des « entraves au commerce de produits agricoles russes » et accusent l’Ukraine d’avoir profité de ce corridor pour s’approvisionner en armes, ont annoncé le 17 juillet dernier que le deal ne serait pas reconduit après son expiration, le jour même.

Un enjeu vital pour l’Ukraine

Depuis, c’est à qui frappera le plus fort. Quelques heures à peine après l’annonce moscovite, Kiev touchait l’emblématique pont de Kertch reliant la Russie à la péninsule annexée de Crimée à l’aide de drones navals. Moscou répliqua dans la foulée, en pilonnant durant trois jours les infrastructures portuaires ukrainiennes des villes de Mykolaïv, Odessa, puis Reni, frontalière de la Roumanie et de la Moldavie.

L’Afrique veut surtout diversifier ses partenariats à Saint-Pétersbourg

Face à la volonté de Volodymyr Zelensky de poursuivre les exportations de céréales en mer Noire malgré la fin de l’accord, le Kremlin a publiquement indiqué que « tous les navires naviguant dans les eaux de la mer Noire à destination des ports ukrainiens [seraient] considérés comme des bateaux transportant potentiellement des cargaisons militaires », et qu’ils pénétraient par conséquent « dans une zone potentiellement dangereuse« .

« L‘enjeu est sans doute plus vital pour l’Ukraine que pour la Russie », analyse Jean Radvanyi, professeur émérite au Centre de recherches Europe-Eurasie de l’Inalco, à Paris. « Les Ukrainiens vont avoir beaucoup de difficultés à exporter leurs céréales, car les voies alternatives proposées par l’Union européenne se heurtent à une série de problèmes logistiques. Elles n’ont pas la capacité nécessaire pour faire sortir toute la production ukrainienne, et la voie maritime qui consisterait à longer les côtes roumaines et bulgares est soumise à d’éventuelles pressions ou attaques russes. » Pour que les choses soient claires, « Moscou a frappé des villes portuaires proches des frontières ».

La complexe alternative européenne

La voie européenne avait fonctionné jusqu’à présent. Les corridors terrestres (ferroviaires) et fluviaux ouverts à travers la Pologne et la Roumanie au début du conflit ont permis de faire sortir 41 millions de tonnes de céréales ukrainiennes pour compléter la voie maritime. Mardi, suite au changement de cap du Kremlin, l’Union européenne a indiqué sa volonté de muscler ces voies d’approvisionnement en harmonisant l’écartement des rails européens et ukrainiens, et en assouplissant les procédures douanières.

Pour faciliter le transit des produits ukrainiens et éviter une déstabilisation de leurs marchés internes, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie et la Roumanie étaient jusqu’à présent autorisés à interdire la commercialisation sur le sol de blé, maïs, colza et tournesol ukrainiens. Mais cette autorisation prendra fin le 15 septembre. Les cinq pays concernés aimeraient d’ores et déjà la faire prolonger jusqu’à la fin de l’année et étendre ces mesures à d’autres produits, mais la plupart des États membres, de même que l’Ukraine, sont contre. Ce qui risque de compliquer le renforcement de cette solution de repli, déjà complexe sur le plan technique.

Aucun intérêt à une flambée de violence

« La Russie dispose clairement d’un puissant levier d’influence« , commente Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe. « Les céréales russes représentent 15 % à 20 % des exportations mondiales. On ne peut pas s’en passer. La Russie a continué à les exporter pendant le conflit et elle continuera à le faire. L’année dernière, ces exportations lui ont rapporté 41 milliards de dollars, contre 15 milliards de dollars pour le commerce d’armes. » La récolte de cette année s’annonce tout aussi bonne que les précédentes et représente donc une manne substantielle, doublée d’un atout politique. « Il est normal que la guerre se joue aussi sur le terrain maritime, poursuit Igor Delanoë, mais le Kremlin n’a aucun intérêt à une escalade militaire trop importante en mer Noire : les silos russes sont pleins, Moscou doit vendre son grain, et les voies alternatives d’exportation ne sont pas évidentes pour la Russie non plus. Une flambée de violence engendrerait une hausse du prix des assurances, les opérateurs seraient tétanisés, et cela engendrerait un important manque à gagner. »

L’Afrique en ligne de mire

Le Kremlin se dit ouvert à une reprise des discussions sur le grain ukrainien si une partie des sanctions occidentales étaient levées, ce qui semble peu probable à l’heure actuelle, l’Union européenne ayant annoncé mercredi soir avoir « prolongé » les sanctions frappant les ressortissants russes.

Pour rassurer les États africains, directement touchés par la fluctuation des prix des céréales, et plutôt conciliants voire favorables à Vladimir Poutine, la Russie s’est également engagée à « remplacer » les céréales ukrainiennes, quitte à exporter « gratuitement » ses produits vers les pays africains les plus vulnérables. « C’est une démarche à la fois politique et symbolique, estime Jean Radvanyi. Politique parce que Moscou, comme Pékin, souhaite un rééquilibrage de l’ordre mondial sur le continent, ce qui implique d’y tenir une nouvelle place. Symbolique, parce que si les Russes et les Africains trouvent un accord, cela signifiera que la Russie n’est pas isolée sur la scène internationale. » Réponse à Saint-Pétersbourg, où Russes et Africains sont réunis jusqu’à vendredi 28 juillet.

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