Ce mercredi soir, le film Lumumba, le retour d’un héros sera montré à Anvers en collaboration avec l’Africa Museum, en présence de l’historien Ludo De Witte dont les nombreuses prises de parole éclairent le documentaire. L’occasion d’explorer les coulisses de la production de ce film coréalisé par Benoît Feyt, Dieudo Hamadi et Quentin Noirfalisse.
«Benoît Feyt était en contact avec la famille Lumumba. Ils lui ont proposé dans le cadre du retour de la dépouille de Lumumba au Congo de pouvoir filmer l’événement.» Rapidement, le journaliste RTBF s’est dit qu’un reportage court ne suffirait pas à saisir la symbolique de ce moment historique, 61 ans après l’assassinat de l’homme politique congolais. Il a donc pris contact avec Quentin Noirfalisse, déjà auteur de plusieurs documentaires au Congo.
« On s’est dit qu’il fallait dépasser le récit de la restitution de la dépouille: il fallait raconter qui était Lumumba (premier Premier ministre de l’histoire du Congo indépendant, NdlR), retracer la perspective belge, celle de la diaspora et de la population congolaise. L’idée était de s’éloigner de ce voyage officiel pour voir comment les gens s’emparent de la figure de Lumumba aujourd’hui. » Lentement, le documentaire a pris forme…
Retour de Lumumba et réactions congolaises
Puisqu’il y avait deux équipes, Quentin Noirfalisse a contacté le réalisateur Dieudo Hamadi (En route pour le milliard). «Je lui ai demandé ce qui lui semblait intéressant pour amener une perspective plus congolaise. Il faut d’office intégrer les compétences des gens sur place, surtout dans un pays comme le Congo», souligne le réalisateur.
« Dieudo souhaitait se pencher sur les oubliés de l’Histoire: les familles Okito et Mpolo, les deux compagnons de lutte de Lumumba assassinés en même temps que lui, dont on parle peu. » Quentin Noirfalisse et Dieudo Hamadi ont constitué une équipe mixte, l’un au son et l’autre à l’image, et ont réalisé toutes les séquences congolaises du film où ils interrogent la population. «Pendant que Benoît se concentrait sur le programme plus officiel de la restitution: cérémonies, hommages, messes, témoignages et récupération politique. On a ensuite remis toutes ces parties ensemble.»
« Le film est important pour les Belges comme pour les Congolais. Pour moi, c’était important d’avoir le point de vue d’Hamadi et pas uniquement notre regard européen. On sent bien que pour les Congolais, Lumumba reste un moment fort de leur Histoire, mais leurs préoccupations portent sur tout le reste et notamment sur la question de l’impunité. En quelques séquences, Hamadi a bien réussi à le montrer. » Au final, les trois réalisateurs se retrouvent bien dans le montage final, « chacun est content du résultat ».
Interviews et archives coloniales
De retour en Belgique, Quentin Noirfalisse et Benoît Feyt mènent les interviews avec Jacques Brassine et Étienne Davignon «pour avoir cette perspective toujours très coloniale de ce qui s’est passé à l’époque et la mettre en miroir avec le travail de la diaspora et ce qui est enseigné dans les écoles.» Le film résulte du travail de montage de ces multiples sources. Tout l’enjeu était de faire cohabiter l’évocation du passé – « pour que quelqu’un qui ne connaisse pas du tout Lumumba puisse comprendre ce qui s’est passé » – sans pour autant faire un film qui retraçait toute l’histoire du Congo au temps des Belges. «C’est la raison pour laquelle on a entamé le récit après la Deuxième Guerre mondiale, au moment du début des indépendances africaines et pas en 1885, au début de l’époque léopoldienne.»
Les deux réalisateurs belges ont aussi décidé de travailler sur les archives de propagande coloniale «pour montrer que le regard, même en 1945, était encore très raciste malgré tout ce que la Belgique a pu dire après la reprise en main de l’Etat indépendant. Il y avait un racisme systémique et la Belgique était là clairement pour ses propres intérêts économiques et pas du tout dans un but de développement ou de codévelopement du Congo.»
« Ces archives, c’est une des forces du film, souligne Quentin Noirfalisse. Les images des quelques mois de chaos de 1960 – avec la capture de Lumumba, son assassinat et la guerre civile – existaient de façon éclatée et n’avaient jamais été rassemblées. » Un travail qui est le résultat d’une belle collaboration puisque les deux réalisateurs belges ne se connaissaient pas, mais partageaient de nombreux intérêts communs, dont l’Afrique.
L’histoire de la colonisation enseignée en 2027
Le but du documentaire est «de faire une mise à jour d’un discours qui, évidemment, a évolué, mais pas de façon ultra officielle. L’histoire de la colonisation ne sera inscrite dans le programme scolaire obligatoire qu’en 2027 et on ne sait pas encore ce qu’il contiendra. Nous voulions apporter notre pierre à l’édifice pour faire reconnaître le travail de la diaspora, qui planche sur une autre présentation de l’histoire du Congo, mais n’est pas toujours présente dans les médias ou aux heures de grande écoute. Nous voulions essayer de construire un pont entre ce passé méconnu, le présent – avec l’enjeu des débats décoloniaux et autour de la restitution de la dépouille de Lumumba – et le futur, car il y a encore des choses à bâtir entre nos deux pays. Comme le dit l’historien congolais Isidore Ndaywel: cette histoire commune, il est temps de la regarder en face, en Belgique comme au Congo.»
Après les deux présentations du documentaire début juin au cinéma Vendôme, il y aura de nouvelles projections à la rentrée de septembre, en Wallonie (notamment à Liège) et à Bruxelles (à la Vénerie), mais aussi en collaboration avec de nombreuses écoles. En septembre, des projections seront aussi organisées au Congo avec le soutien de Wallonie Bruxelles International (WBI).
Entretien: Karin Tshidimba