Les trêves se succèdent mais ne font jamais taire les armes. La guerre qui a débuté il y a 50 jours a fait au moins 1 800 morts et plus de 1,5 million de déplacés.
Huit semaines que la loi du canon s’est imposée au Soudan. Le week-end dernier, malgré une trêve négociée sous l’égide du couple américano-saoudien, les combats ont repris avec une violence décuplée, selon divers témoignages en provenance de Khartoum, la capitale sinistrée de cet État qui a déjà vu fuir plus de 1,5 million de ses habitants vers les pays voisins.
Le Croissant-Rouge soudanais a expliqué dans un communiqué que 180 corps non identifiés ont été enterrés ce week-end : 102 dans le sud de Khartoum et 78 au Darfour.
À Khartoum, l’armée, dirigée par le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, a visé avec ses avions des positions des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammed Hamdan Dagalo, alias Hemeti, qui ont répondu par des tirs de batteries antiaériennes.
Malgré ce nouvel échec de la diplomatie, Ryad et Washington entendent poursuivre leurs efforts pour arriver à un cessez-le-feu… “effectif”, selon des diplomates saoudiens. Mais sur le terrain, le divorce entre les clans des deux généraux est plus perceptible que jamais, ce sont deux univers historiquement et culturellement hostiles qui se font face, après quelques années d’une cohabitation tendues suite à la chute en 2019 du président Omar el-Béchir.
Une guerre clanique
Entre les deux factions, ce sont les principales tensions du pays qui se distinguent. Dans leur communication, les FSR du général Hemeti n’hésitent plus à qualifier leurs anciens partenaires de l’armée de “militaires fascistes” soutenus par “une foule d’islamistes corrompus assoiffés du sang du peuple soudanais”. Dans un discours télévisé qui sentait la poudre deux mois avant le début de la guerre, le même général, patron des FSR qui ont soutenu le régime de el-Béchir jusqu’à l’aube de sa chute, a qualifié le coup d’État militaire de 2019 d’” erreur” devenue “la porte d’entrée pour le retour de l’ancien régime”.
À Khartoum, la majorité des habitants ont appris à se méfier de ces FSR vues comme une organisation clanique venue du lointain Darfour, très structurée et violente. À l’ombre du chef, le général Hemeti, ils ont aussi appris à connaître le commandant en second, son “petit frère” biologique Abd al-Rahim Hamdan Dagalo, et les autres commandants tous issus du même clan. De leur côté, ces Arabes du Darfour, base du FSR, se méfient de la classe dirigeante de Khartoum composée principalement de membres des tribus arabes du nord du Soudan qui contrôlent le pays depuis l’indépendance en 1956, comme les Sha’iqiya (comme le général Al-Bourhane) ou les Ja’alin.
Ces Arabes de la capitale “regardent les gens du Darfour comme des arriérés devenus plus Africains qu’Arabes”, explique un ancien diplomate qui fut en poste dans la région. Un sentiment très perceptible dans la capitale qui pousse Hemeti et les siens, qui n’ont généralement fréquenté que des écoles coraniques, à se méfier de ces élites de Khartoum jugées prétentieuses. Dans le même temps, le général Al-Bourhane est considéré au Darfour comme le principal architecte d’un génocide des musulmans non arabes et l’auteur de menaces d’extermination de certaines tribus qui avaient dominé le Darfour.
L’échec de l’intégration militaire
Le général Al-Bourhane est aussi pointé du doigt pour son échec dans la gestion de ses forces armées soudanaises (FAS) et dans l’intégration des troupes des FSR dans cette structure. “En fait, il est apparu complètement incapable de gérer ses troupes”, poursuit le diplomate. “Dans ces circonstances, difficile de prétendre gérer les troupes de votre pseudo-partenaire”.
Or, après la chute d’el-Béchir en 2019, FAS – FSR et une coordination civile devaient gérer le pays en attendant l’organisation de “vraies” élections. Deux ans plus tard, en 2021, l’armée soudanaise a repris le pouvoir et douché les espoirs de tous les démocrates. Chef de cette armée, Al-Bourhane est devenu de facto le patron du Soudan assisté par son éphémère compère Hemeti, à charge de ces deux-là de s’entendre et de fusionner leurs troupes dans une composante unique. Un deal coulé dans un accord-cadre qui intéressait très moyennement les deux hommes qui risquaient de voir vaciller leur mainmise sur leurs troupes respectives… et qui devaient accepter, sur pression internationale, une fois encore de remettre le pouvoir entre les mains d’un régime civil. Les militaires des deux camps ont finalement dénoncé cet accord-cadre, et le pays a replongé dans une guerre civile que nombre de gradés, surtout dans les rangs des FAS, préfèrent à un gouvernement de civils, eux qui adhèrent largement à une idéologie islamiste et rejettent l’idée d’un gouvernement laïque.