Union européenne, Nations unies, Église catholique, États-Unis, les appels à la retenue, au respect du droit de manifester et à éviter toutes dérives autoritaires se multiplient dans le monde. Bruxelles, elle, demeure silencieuse.
En route pour les élections législatives et présidentielles de décembre 2023. Le président congolais Félix Tshisekedi ne cesse de le répéter, il organisera ces scrutins coûte que coûte à la date prévue par la Constitution. Pour ce faire, il s’est constitué une Cour constitutionnelle sur mesure en y installant une majorité de juges qui lui sont favorables, il s’est bâti une commission électorale nationale indépendante (Ceni) à sa main en plaçant un président, Denis Kadima Kazadi, très réceptif à ses injonctions.
Un audit de façade
La semaine dernière, cette Ceni a obtenu le blanc-seing des cinq experts internationaux qu’elle a désignés après que l’équipe de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), initialement prévue pour ce travail, a expliqué que l’audit d’un fichier de près de 50 millions de noms ne pouvait sérieusement être réalisé en cinq jours. Pour les experts finalement désignés par la Ceni, le fichier électoral estimé à 43 955 181 électeurs, après la disparition de 3,3 millions de doublons et de mineurs enregistrés frauduleusement, est “fiable”.
Une conclusion accueillie avec scepticisme par nombre d’experts internationaux. “Cette équipe de cinq personnes ne peut réaliser un travail sérieux en cinq jours. Elles ne sont pas entrées dans le fichier, elles se sont fait expliquer la méthodologie de travail et elles l’ont validée. C’est tout”, explique un habitué des scrutins en RDC.
Milice politique
Quand l’opposition politique a voulu descendre dans les rues de Kinshasa le 20 mai pour dire pacifiquement qu’elle voulait une autre structure pour organiser ces scrutins, elle s’est retrouvée face à une forte mobilisation policière escortée par une nouvelle milice, la Brigade spéciale de l’UDPS – Force du progrès, dont les membres étaient armés de machettes et agissaient en toute impunité sous le regard passif des policiers.
Ce 29 mai, l’ONG Human Rights Watch a expliqué dans un communiqué que les forces de l’ordre congolaises sont intervenues “violemment” et qu’elles “ont procédé à l’arrestation de dizaines de personnes et en ont blessé gravement au moins trente”.
Comme l’Union européenne, l’Église catholique, les Nations unies ou les États-Unis par la bouche du secrétaire d’État Antony Blinken qui a évoqué dans une conversation téléphonique avec Félix Tshisekedi “le droit du peuple congolais à manifester de façon pacifique afin d’exprimer ses préoccupations et aspirations”, HRW s’inquiète de ce qui s’apparente à une dérive violente des autorités congolaises. “Alors que la RDC se prépare à des élections plus tard cette année, le gouvernement devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que chacun puisse exprimer pacifiquement ses opinions sans crainte d’arrestation ou de passage à tabac par les forces de sécurité”, peut-on lire en conclusion du message de HRW.
Appel à la CPI
Dans ce contexte, l’avocat Hervé Diakiese, un des responsables de la société civile congolaise, a annoncé son intention d’en appeler au procureur de la Cour pénale internationale (CPI). “Quand on voit un groupe de supplétifs non officiels rattachés à un parti au pouvoir s’associer à la police pour organiser la répression en toute impunité, il faut s’attendre au pire. Ce peut être la préparation d’actes constitutifs de crimes contre l’humanité”, explique-t-il pour justifier son recours à la CPI, en faisant la comparaison avec ce qui s’est passé dans la région avec des milices du pouvoir comme les Imbonerakure au Burundi ou les Interahamwe au Rwanda.
Les autorités congolaises ont promis de sévir contre les dérives policières, répondant ainsi aux images scandaleuses de policiers s’en prenant à un jeune adolescent revenant de l’école. Trois policiers auraient été arrêtés pour ces faits qui ont été en une des réseaux sociaux pendant plusieurs heures. Mais rien contre les milices ou les excès de la répression face à l’opposition politique, bien au contraire. Les images d’un Félix Tshisekedi félicitant et promettant une promotion au chef de la police de Kinshasa pour son “professionnalisme” ont abondamment circulé sur Twitter.
“Tous ces éléments démontrent un climat de violence qui est en train de s’instaurer dans le pays. Un phénomène qui cible tous ceux qui pourraient se dresser sur la roue de la réélection de Félix Tshisekedi”, explique une membre d’une organisation de lutte pour la démocratie, qui rappelle que les opposants politiques ont non seulement été empêchés de manifester à Kinshasa mais aussi de “simplement voyager” dans les provinces voisines, pointant l’interdiction faite à Moïse Katumbi de se rendre au Kongo ou dans le Kwilu.
“Où est la Belgique ?”, interroge un autre activiste. “On nous explique que l’ambassadeur belge n’est pas à Kinshasa, comme si cette absence pouvait expliquer ce silence.” Plusieurs voix interrogent cette apathie. “Certes, l’Union européenne a réagi mais, pour un Congolais, ce message ne remplacera jamais la voix de Bruxelles.” “C’est très bien, les accolades fraternelles quand Félix se rend à Bruxelles ou quand le roi Philippe et son Premier ministre viennent ici, mais la diplomatie du bisou a ses limites. Est-ce un chèque en blanc à l’homme qui est au pouvoir ?”, interrogent plusieurs activistes, qui attendent un “sursaut bruxellois en faveur du peuple congolais”.