Opinion de Julien Heylen, étudiant belgo-rwandais au Collège d’Europe.
Du 27 au 28 février 2023, la 18e édition du dialogue national rwandais, l’ « Umushyikirano » a eu lieu à Kigali. A l’initiative de l’ambassade du Rwanda, les membres de la diaspora de Belgique et d’Europe se sont réunis pour suivre cet événement dans un hôtel à Bruxelles.
« L’Homme est un animal politique ». Selon cette thèse du philosophe grec Aristote, l’homme ne peut pleinement se réaliser qu’en étant politiquement actif. En tant que politologue belgo-rwandais qui a fait sienne cet adage, je me sens tenu de suivre les développements politiques tant en Belgique que dans l’Union Européenne et dans mon pays d’origine, le Rwanda.
La couverture internationale de l’actualité rwandaise se limite à quelques articles occasionnels, souvent centrés sur le génocide des Tutsi 1994 ou le conflit à l’est du Congo. Difficile, dans ces conditions, de me faire une idée du Rwanda d’aujourd’hui.
Ma participation au Dialogue national « Umushyikirano » m’a permis d’avoir un aperçu des progrès du pays et des défis auxquels il fait face, et m’a apporté une vision optimiste mais aussi réaliste du chemin parcouru depuis la tragédie de 1994.
Qu’est-ce que « Umushyikirano » ?
Le Rwanda est tristement célèbre pour le génocide des Tutsi rwandais de 1994. Cet événement tragique, qui a couté la vie à plus de 1 million de personnes, a mis en lumière la nécessité d’un changement radical dans la gouvernance du pays.
Depuis lors, dans un effort de réunification et de reconstruction du pays, le Gouvernement rwandais a opté pour des « solutions maison » (homegrown solutions) ancrées dans la culture traditionnelle rwandaise, c’est-à-dire des solutions africaines aux problèmes africains, dont le Dialogue national Umushyikirano.
Umushyikirano, qui signifie « communication » ou « négociation » en Kinyarwanda, est un forum inscrit dans la Constitution, qui permet aux Rwandais de se rassembler pour échanger sur l’état de la nation. Parmi les participants, on retrouve des membres du gouvernement et du parlement, des représentants des communautés rwandaises à l’étranger, des responsables locaux, des membres de la société civile, les médias, et la communauté diplomatique. Umushyikirano est présidé par le chef d’État, le président Paul Kagame.
Ce Dialogue national a lieu chaque année depuis le 28 juin 2003. Pour la dernière édition en date, qui a eu lieu les 27 et 28 février 2023 à Kigali, les participants de la diaspora rwandaise en Belgique ont pu suivre la cérémonie en direct à Bruxelles via une retransmission coordonnée par l’ambassade du Rwanda.
Grâce aux interprètes, ceux qui, comme moi, ne maîtrisent pas bien la langue rwandaise, le kinyarwanda, ont ainsi pu suivre les discussions, qui ont porté sur les résultats du 5e recensement de la population, un état des lieux de l’unité et de la réconciliation au Rwanda, les défis actuels pour construire des familles et des communautés fortes, et enfin la signature de contrats de performances, appelé « Imihigo », qui se sont terminés par la distinction des meilleurs acteurs locaux de l’année précédente.
Une véritable occasion de critiquer ?
En tant que novice, je suis ressorti de l’ »Umushyikirano » avec un sentiment d’étonnement qu’un pays qui ne cesse d’obtenir de mauvais résultats aux indicateurs démocratiques (le pays est qualifié ‘non-libre’ par Freedom House avec un score de 22/100) ait organisé un tel exercice de démocratie participative. L’ensemble des participants, tant à Bruxelles qu’à Kigali, semblaient en effet engagés dans la discussion, qu’ils commentaient en toute liberté.
Ces observations sont cependant à nuancer. Il est fort probable que les participants ont intentionnellement modéré la sévérité de leurs critiques en raison de la présence de leurs « supérieurs ». De plus, la plupart des interventions étaient élogieuses à l’égard du président. Cela n’est pas nécessairement suspect en vertu de la culture qui exige de commencer son propos par des remerciements souvent interminables. Cela étant, il reste important de conserver une attitude critique face à pareil exercice.
Mis à part les critiques internationales sur le niveau de démocratie du pays, l’exercice semble atteindre son objectif. L’enthousiasme et le patriotisme des participants était visible à l’œil nu, et tandis que les statistiques présentées démontrent de leur côté une réelle volonté de poursuivre le développement du pays de la part des autorités.
Ce n’est pas pour rien que le Rwanda est surnommé le Singapour de l’Afrique, avec ses progrès rapides en matière d’innovation et de technologies. Le pays a une vision claire du chemin qu’il souhaite prendre, et il invite ses citoyens, y compris ceux de la diaspora, à contribuer à ce projet commun. Dans ce sens, Umushyikirano m’a permis de mieux vivre mes multiples identités en tant que citoyens à la fois rwandais, belge, et européen.