Couronné par le jury Rêvolution du festival Cinemamed et déjà primé au Fiff à Namur, le film d’Erige Sehiri sort dans les salles aujourd’hui. Au fil d’une journée ordinaire, il explore les espoirs de la jeunesse en Tunisie. Pays que le long métrage représente dans la course aux oscars. (Vidéo)
La campagne est encore endormie sous le soleil timide du début de matinée. Au loin, une camionnette se charge peu à peu de travailleurs et d’une majorité de travailleuses. C’est la période de la cueillette des figues ; le travail requiert de l’habileté et une main-d’œuvre qualifiée dont de nombreuses femmes reconnues pour leur délicatesse et leur doigté. Le propriétaire du verger compte sur ses recrues bien formées pour que le travail soit rondement mené. Habituées à travailler ensemble, les femmes se saluent et partagent leurs espoirs, leurs soucis et leurs secrets en chemin.
Jeunesse en attente
Les problèmes d’argent et de terrain, le regard des parents, le manque d’emploi et d’opportunités s’invitent dans toutes les conversations. À travers le quotidien de ces travailleurs perchés dans les arbres ou portant de lourds paniers, le film dresse un portrait social (statut, salaires, familles) de la Tunisie, charriant dans son sillage son lot d’amours présentes ou contrariées. Avec l’honneur et la réputation en point de mire pour chacune, quoi qu’on en dise…
La figue est un fruit délicat qu’il faut cueillir à son apogée sans l’abîmer ni briser les branches de l’arbre qui l’ont vu naître. La métaphore vaut pour la jeunesse tunisienne impatiente de s’élancer dans la vie et de vivre ses premières amours… La réalisatrice filme avec soin ces visages où s’inscrit la profondeur des sentiments et des questionnements. Un cinéma proche du réel qui contribue à sortir de l’ombre ces anonymes aux yeux doux, tous comédiens amateurs.
La lumière baigne littéralement cette fiction à la photographie naturaliste et aux allures de documentaire. L’histoire se déroule au fil de cette unique journée de cueillette, du lever au coucher de soleil. À travers elle, les traditions et les défis du pays se donnent à voir.
En route vers les oscars
Au fil du jour, Érige Sehiri (La Voie normale) explore l’amour sous toutes ses formes (jalousie, envie, bravade, regrets) et à tous les âges de la vie. Le film dévoile une jeunesse tiraillée entre désir de modernité (via les réseaux sociaux) et traditions étouffantes. Grâce à cette unité de lieu et de temps – dix heures sous le soleil à voir les hommes qui s’octroient tous les droits et les filles qui revendiquent leur liberté –, Erige Sehiri établit une sorte de cartographie du quotidien dans cette Tunisie rurale évoluant loin de la rumeur des grandes villes. Un coin de pays en demande de changements, comme sa jeunesse.
Malgré quelques longueurs, ce deuxième long métrage très organique de la Franco-Tunisienne Érige Sehiri charrie dans son sillage beaucoup de pertinence, de justesse et de douceur. Sacré Bayard d’Or lors du Festival international du Film francophone (Fiff) de Namur à la rentrée, il avait été présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Il représente la Tunisie dans la course aux oscars.
Karin Tshidimba