Sampa The Great est de retour avec « As Above So Below ». Deuxième album de rap puissant et très riche musicalement, sur lequel elle assume enfin sa culture zambienne.
Sampa Tembo n’est pas très grande, mais lorsqu’elle monte sur scène, cela n’a absolument aucune importance : la rappeuse zambienne s’impose avec son coffre, sa puissance, la précision chirurgicale de son phrasé. Cet été, pas moyen d’y échapper, « Sampa The Great » était partout, omniprésente, visible sur les scènes du monde entier. Plus tendances et prisés les uns que les autres, les festivals de Coachella (Californie), Primavera (Barcelone) et Glastonbury (Royaume-Uni) l’ont tous accueillie sur leurs terres. Tout comme notre Couleur Café national, qui fut bien inspiré de programmer ce futur très grand nom du rap, dont le brillant deuxième album est arrivé avec la rentrée (As Above So Below ***Virgin, 9 septembre).
Comme souvent, malheureusement, un continent a toutefois largement brillé par son absence – l’Afrique, généralement snobée par les promoteurs de concerts, faute de public et d’infrastructures en suffisance pour massivement les rentabiliser. De quoi illustrer les dilemmes d’une artiste africaine née en Zambie, élevée au Botswana, formée en Californie et révélée en Australie, avant de revenir sur les lieux de sa naissance pour composer et enregistrer onze titres à l’africanité fièrement revendiquée.
Comment avez-vous vécu ces années folles passées entre la Zambie, le Botswana et la Californie ?
Rien de tout cela n’était planifié. Je suis née en Zambie, je suis zambienne, mais quand j’avais deux ans, mes parents ont bougé au Botswana voisin pour des raisons professionnelles. Puis je suis allée étudier en Californie, à 18 ans, où – pour la première fois – j’ai pu concevoir l’art comme une carrière, être prise au sérieux. C’est aussi là que j’ai pris conscience du regard porté sur les Africains à l’extérieur du continent. Il y a une hiérarchie dans la façon dont les gens vous traitent. Quand vous sortez de votre petite bulle africaine, que vous expérimentez cela en personne, vous réalisez subitement « oh, voilà comment fonctionne le monde« . À domicile, j’avais confiance en moi, je m’aimais. À l’étranger, où j’étais ramenée à ma couleur de peau, tout était différent. C’était difficile, mais ce fut mon introduction à la réalité. J’étais tiraillée entre le fait de vouloir rentrer chez moi, et l’idée d’apprendre tout ce que je pouvais dans un pays et un contexte nouveaux.
Vous avez poursuivi l’expérience en Australie, pourquoi ?
Ma petite sœur, Mwanjé, qui chante avec moi sur l’album et m’accompagne en tournée, m’a dit un jour : « Tu as toujours voulu parcourir le monde. Tu vas laisser des gens te dire qui tu es ? » Puis elle a ajouté : « Je vais aller finir mes études avec toi et ce sera ICI. » Elle a pointé le doigt sur un pays, et c’était l’Australie. Là non plus, rien n’était planifié. Nous ne connaissions absolument personne sur place. Après avoir décroché mon diplôme, j’avais l’intention de rentrer en Afrique, mais j’ai sorti mes tout premiers morceaux et ça a explosé (The Return, 2019, NdlR). Je n’avais aucune ambition artistique, je ne connaissais même pas la scène hip-hop locale, mais quelques semaines avant de partir, le succès est arrivé d’un coup. C’était un choc incroyable, alors je suis restée.
Vous évoquez sur cet album le « syndrome de l’imposteur » qui a suivi la sortie de vos premières compositions…
Effectivement. Je me suis dit : « Reste, utilise les ressources et la plateforme que tu trouves en Australie. Et avec un peu de chance, dans dix ans, tu pourras prendre ces ressources avec toi en Afrique et faire quelque chose là-bas. » Ça a toujours été l’objectif. J’étais consciente de mes privilèges, je ne voulais pas devenir une sorte d’ambassadrice de ma culture, mais, par défaut, c’est ce qui est arrivé. À un moment, j’ai commencé à représenter davantage que moi-même : j’incarnais la communauté africaine, mais aussi, dans une certaine mesure, ce que traverse également la population indigène australienne. Un poids énorme est venu accompagner cette responsabilité. Mon premier album n’a pas été par amour et par joie, mais par sens du devoir et de représentation.
C’est la pandémie de Sars-Cov-2 qui a tout changé ?
Effectivement. Quand j’étais jeune, le terme « maison » a toujours renvoyé à deux endroits différents : la Zambie où je suis née, et le Botswana où j’ai grandi. Avec la pandémie, pour la première fois de ma vie, j’ai pu rentrer en Zambie et y vivre pendant trois années d’affilée, sans bouger. J’ai pu me reconnecter avec ma culture, mes racines, ma musique. Après toutes ces années passées à m’interroger sur mon identité, j’ai enfin pu me sentir moi-même, zambienne. Sampa Tembo et Sampa The Great ont enfin pu redevenir une seule et même personne. J’ai travaillé avec des artistes locaux, utilisé des instruments, producteurs et rythmes locaux. Ce n’est plus un album de représentation, c’est mon album à moi.
« Quand on vous retire votre musique, que reste-t-il de vous ? »
Dès les premières notes de « Shadows », As Above So Below étonne par sa richesse et sa profondeur musicale. En pleine confiance, Sampa The Great assume son histoire, mêle parfaitement ses racines à ses influences occidentales, et passe sans complexe de l’anglais au bemba, dialecte encore parlé par sa maman. À l’image de « Lane » interprété avec Denzel Curry, « Imposter Syndrome » ou le hit « Can I Live », cette seconde création est aussi subtile que puissante.
Enfant, en Afrique, votre première influence musicale était afro-américaine : 2Pac.
Initialement, ma musique n’était pas un art, mais une façon de communiquer. J’ai commencé par écrire des textes, des journaux, puis mes écrits se sont orientés vers le rap. Je n’étais pas tant attirée par les fastes de la culture américaine que par la capacité de Tupac Shakur à exprimer ce qu’il ressentait à l’intérieur de lui-même. Ça m’a stimulée, ça m’a inspirée. Alors j’ai travaillé, encore et encore, pour finalement trouver ma propre voie.
Ce deuxième album a été entièrement composé et enregistré en Zambie, comment avez-vous introduit la musique locale dans vos compositions ?
Oh, je n’ai rien ajouté du tout, c’est totalement de la musique zambienne. Un morceau comme « Never Forget » est un titre purement local. Les rythmes et les instruments utilisés par mon producteur sont typiques de chez moi. Lorsque j’étais à l’étranger, j’avais le sentiment de répliquer quelque chose, une part de ma culture africaine. D’où cette idée d’imposture. Ce n’est plus le cas, les artistes de la diaspora essayent de retrouver leur culture, les Zambiens savent, tout simplement (rires).
Vous rendez notamment hommage au zamrock. De quoi s’agit-il ?
C’est un genre mixant des éléments de musique traditionnelle zambienne et de rock psychédélique. Il est apparu dans le courant des années 70, mais a connu un réel engouement dix ans plus tard. Pour moi, le zamrock incarne en partie l’identité perdue de la musique zambienne. À l’heure du succès de l’afrobeat et de la musique commerciale, je trouvais pertinent de le ressusciter. Le genre est presque plus connu en dehors de la Zambie que dans le pays, un peu comme moi (rires).
Difficile, aujourd’hui encore, de trouver une scène, une visibilité chez vous ?
J’ai déjà joué en Zambie, mais c’était il y a très longtemps. Il n’y avait pratiquement personne. Je pense que si j’y donnais un concert aujourd’hui, des gens viendraient me voir. C’est toujours la même chose, maintenant que je suis connue à l’étranger, mon travail commence à compter chez moi. C’est l’éternelle question de la validation. C’était pareil pour Feli Kuti, qui tournait dans le monde entier avec son afrobeat, mais avait du mal à se produire chez lui, au Nigeria. Nous devons arrêter de penser de la sorte et revendiquer notre qualité à domicile. Quelque part, la pandémie a soulevé une question fondamentale pour les artistes : lorsqu’on vous retire votre musique, que reste-t-il de vous ?
En concert au TRIX (Anvers) le 25 octobre