Reportage à Luanda Hubert Leclercq
Les Angolais ont voté dans le calme ce mercredi pour des élections générales annoncées très serrées
« Surveillez bien ce qu’il se passe. Soyez attentifs. Les Angolais veulent le changement mais le pouvoir en place ne veut pas l’entendre”, lance Miguel, 24 ans, en coiffant son casque de moto et en affichant fièrement son index teinté de l’encre indélébile qui prouve qu’il a voté. Au chômage depuis la fin de ses études, il y a deux ans, cet informaticien fait partie de cette jeunesse qui rêve d’un Angola nouveau. “À quoi servent le pétrole et les diamants que nous produisons si nous ne pouvons pas en profiter. Ce sont toujours les mêmes qui se régalent.”
Nova Vida, où vit Miguel, est un bastion de l’opposition au sud-est de Luanda. D’ici, les tours de verre qui bordent la baie de la capitale paraissent bien loin. Ici, le nom d’Adalberto Costa Junior ou “ACJ”, comme aiment le surnommer ses supporters, le nouveau leader de l’Unita, 60 ans, est sur de nombreuses lèvres. L’homme, qui a grandi au Portugal, est un pur produit de son parti pour lequel il a longtemps mobilisé la diaspora. Cet ingénieur a même obtenu la nationalité portugaise après ses études avant d’y renoncer en 2019 pour pouvoir se lancer dans la course présidentielle. Un itinéraire qui ne fait pas l’unanimité au sein de sa famille politique où plusieurs caciques, dont la voix porte parmi les anciens de l’ex-rébellion, voient en lui un “jeune” qui n’a jamais participé à la lutte armée. “Une question de génération, ACJ, c’est le futur. Et le futur, ce doit être maintenant”, lance dans un français parfait (“dû à dix longues années passées au Gabon”) Angelica, la copine de Miguel, en grimpant à l’arrière de la moto. Elle reprend ainsi le slogan de campagne asséné depuis des semaines par son favori : “A ahora é agora !” (“C’est maintenant”).
“De la patience”
Depuis des semaines, les observateurs annoncent un scrutin serré, le plus serré de l’histoire du pays qui n’a connu, depuis son indépendance en 1975, que quatre passages par les urnes. “Le cinquième ne sera peut-être pas celui du changement”, calme Anselmo, la casquette de marin à la Corto Maltese, où sont brodées les cinq lettres qui forment le mot “Unita”, bien vissée sur la tête. “Adalberto a fait une bonne campagne pour les jeunes, calibrée pour les réseaux sociaux. Je ne doute pas que ça frappe les esprits et on a envie d’y croire. Mais tout le monde n’est pas connecté”, grince-t-il avec son sourire édenté. “Le MPLA va s’accrocher au pouvoir, il dispose de tous les leviers de l’État et son électorat est mobilisé même si le parti est moins uni qu’avant et que le président Lourenço ne parvient pas à mobiliser les foules avec son discours. Il faudra encore un peu de temps mais le changement est en marche.”
La fluidité du processus de vote est remarquable. Il faut dire que la Commission électorale nationale n’a pas ménagé les moyens pour ce scrutin. Plus de 106 800 personnes ont été mobilisées pour encadrer ce scrutin. Une galaxie de jeunes gens, casquettes et gilet noirs sur un t-shirt blanc, attendent les électeurs devant les bureaux de vote armés de tablettes électroniques et de mini-imprimantes. Chaque votant doit montrer sa carte d’électeur qui est scanné et il obtient illico presto un ticket qui lui permet de se présenter dans un des très nombreux bureaux de vote où les attendent les assesseurs et des isoloirs en carton. “Une minute maximum et tu as voté”, lance Socratès, la petite vingtaine en scannant la carte qui lui est présentée.
“Tous ces jeunes, ils ont du travail grâce à la Commission électorale qui est entre les mains du MPLA, la plupart ont voté pour ce parti”, explique Moïse, le portrait presque fidèle d’Anselmo, abandonné pourtant quelques kilomètres plus au sud. “Le changement sera difficile même si les positions seront certainement resserrées. Il faut reconnaître qu’ACJ a fait du bon travail en réunissant plusieurs partis au sein d’un Front patriotique uni. Mais ce sera trop court cette fois.”
Les petites grappes d’électeurs se succèdent, surtout des électrices. Si les hommes se déplacent généralement seuls, les femmes ont souvent constitué de petits groupes. “C’est plus agréable”, sourit Maria Isabel, qui se presse lentement, suivie d’une copine et de ses deux filles qui votent pour la première fois. Cap sur le bureau 61, installé dans une école d’un rose délavé à quelques pas du musée d’Histoire naturelle. Leur choix ? “Segredo”, sourit la matrone accompagnant son petit mot d’un index posé sur les lèvres. “On veut tous que ça change, mais on ne veut pas la guerre. Il faut que ça se fasse de manière progressive.”