Reportage Hubert Leclercq, envoyé spécial à Luanda
Quatorze millions d’Angolais se sont inscrits pour participer à l’élection générale de ce mercredi 24 août.
Le MPLA, au pouvoir depuis l’indépendance, est sous pression.
La crainte d’un chaos post-électoral est omniprésente.
Le soleil ne parviendra pas à percer l’épaisse couche grisâtre qui flotte au-dessus de Luanda, la capitale angolaise, ce lundi 22 août. À deux jours d’un scrutin, le cinquième de l’histoire du pays, que beaucoup n’hésitent pas à qualifier de “capital” pour la démocratie, les Luandais vaquent à leurs occupations. “Je sais qu’il y a des meetings un peu partout mais ce n’est pas ça qui donnera à manger à mes enfants”, explique Carolina, vendeuse de bananes plantains dans le centre de la capitale. Ses copines sont hilares de voir cette dame s’emporter quand elle évoque le scrutin à venir. “C’est toujours les mêmes refrains. Ceux qui sont au pouvoir promettent qu’ils feront mieux et ceux qui veulent le pouvoir jurent qu’ils savent comment faire pour nous sortir de la misère. En attendant, la misère, c’est notre quotidien. La vie est dure. Très dure”, continue la vendeuse sous les applaudissements amusés de ses collègues installées sur les trottoirs qui descendent vers la baie qui borde la ville. Une cité faite de contrastes permanents où se côtoient les grands immeubles de verre, les hôtels bardés d’étoiles, les bâtisses coloniales aux couleurs le plus souvent défraîchies et de vrais bidonvilles.
Mercredi, même si Carolina n’ira pas voter, les Angolais ont rendez-vous avec les urnes pour élire les 223 parlementaires du pays. “Nous avons la circonscription nationale, qui élit 130 membres, et les 18circonscriptions provinciales élisent chacune cinq membres. Les trois sièges restants reviennent aux candidats de la diaspora”, explique un des membres de la commission électorale qui s’affaire dans ses bureaux du centre-ville où journalistes et observateurs internationaux font la file pour obtenir leur accréditation. “Nous avons un système que nous pouvons qualifier de gouvernement présidentiel parlementaire. Le président de la République est élu selon le modèle d’un système parlementaire, mais avec les pouvoirs d’un système présidentiel. On élit les députés et si la tête de liste du parti vainqueur est élue, il devient automatiquement président de la République”, explique-t-il, empêtré avec une imprimante récalcitrante.
Fortes tensions
“Cette campagne me fait terriblement penser à celle de 1992 pour les premières élections générales de l’ère post-coloniale”, explique Joao Da Silva, enseignant et résident à Kilamba, dans ce qu’il appelle “la nouvelle Luanda”. Un complexe sorti de terre au début des années 2010 avec 750 immeubles de huit étages, une dizaine d’écoles et une bonne centaine de boutiques. Une ville moderne plantée à une vingtaine de kilomètres au sud de la capitale qui rappelle les grands ensembles architecturaux bâtis en Europe dans les années 1960. Une cité entièrement construite par des entreprises chinoises qui se sont fait payer en pétrole. L’Angola, second pays producteur d’or noir en Afrique sub-saharienne, devenant pour un temps le principal exportateur de pétrole vers la Chine. “La rhétorique des deux principaux partis pour ces élections générales, le MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola) et l’Unita (Union national pour l’indépendance totale de l’Angola) est aussi violente que ce que nous avons connu lors du premier scrutin qui a replongé le pays dans la guerre civile. La grande différence, et c’est essentiel, évidemment, c’est que ces deux mouvements sont aujourd’hui des partis politiques et plus des structures armées”, poursuit l’enseignant. “Même si le risque de tensions et de confrontations à l’annonce des résultats est très possible”, enchaîne Bernardo Mulumba, étudiant en droit.
Un scrutin qui peine à séduire
Le scrutin de ce mercredi 24 août ne fait pas rêver en Angola. Quatorze millions d’Angolais se sont inscrits sur les registres électoraux sur une population totale qui tutoie les 40 millions d’âmes dans ce pays d’Afrique centrale, sans oublier, pour la première fois, le vote de la diaspora. En Belgique, le consulat d’Angola n’attend guère plus de 600électeurs. “Ce n’est pas une journée fériée en Belgique. On n’a pas le temps de faire la file pendant des heures”, expliquait récemment une Angolaise résidant à Liège. Selon les services consulaires angolais, la même apathie règne dans les autres pays où la diaspora peut exprimer son vote.
Au pays, le MPLA du président est confronté à un profond désamour. Le président Joao Lourenço qui avait fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille a vu son mandat de 5 ans marqué par la crise du coronavirus qui a amplifié la crise sociale. Selon la Banque mondiale, un Angolais sur trois vit avec moins de 1,8 dollar par jour. Un contexte qui renforce la position du premier parti de l’opposition, l’Unita, mené par Adalberto Costa Junior qui rêve de détrôner le MPLA au pouvoir depuis l’indépendance du pays et qui ne cesse de régresser. En 2017, lors des dernières élections, le MPLA avait décroché 61 % des voix et 150 élus, en recul de 25sièges. L’Unita, elle, avait décroché 51 sièges.
Bataille dans les bureaux de vote
Pendant son mandat, fort de sa majorité absolue, le MPLA a organisé une révision constitutionnelle qui interdit désormais le dépouillement des urnes dans les bureaux de votes locaux au profit d’un dépouillement centralisé. Face à ce qu’il considère comme une “garantie de tricherie”, l’Unita appelle ses électeurs à rester dans ces bureaux de vote, ce qui fait craindre encore plus de tensions.
Les rares sondages, comme celui d’Afrometer effectué en mai dernier, donnaient un avantage de 7 points à l’Unita mais avec 50 % d’électeurs qui ne se prononçaient pas. À deux jours du scrutin, à Luanda, beaucoup pensent que l’actuel président sortira vainqueur de ce scrutin mais avec une majorité beaucoup plus étriquée. “L’Unita est populaire, surtout chez les jeunes, mais son électorat est moins structuré que celui du MPLA”, reprend Bernardo Mulumba qui ne doute pas qu’il y aura des tensions post-électorales mais qui veut croire que “les acteurs politiques éviteront le pire”.