Le parcours de l’écrivain érythro-éthiopien se définit entre appel de l’écran, goût des langues et rêve de littérature. Elu membre de la Royal Society of Litterature en juillet, le parcours de l’ex-enfant réfugié inspire…
À travers le personnage de Jamal qui ouvre Le Silence est ma langue natale***, son dernier roman, Sulaiman Addonia adresse une déclaration d’amour au cinéma. “Le cinéma est entré dans ma vie avant les livres car nous n’avions pas de livres dans le camp de réfugiés. Un jour, une famille nous a emmenés au cinéma dans la ville voisine. C’était la première fois que la vie semblait normale… Je suis devenu un fan de cinéma, de sa force pour raconter des histoires. Avec les années, j’ai réalisé que ce qui me plaisait, c’était le langage du cinéma. Beaucoup de mon imaginaire vient de là. J’ai regardé beaucoup de films en coupant le son pour observer les interactions des personnages avec leur environnement. Cela m’entraîne loin dans mon imagination.” Sulaiman Addonia travaille d’ailleurs en ce moment à une adaptation cinéma de son dernier roman.
L’entrée en littérature
“Quelque chose en moi me disait que je devais me mettre à écrire. Ce fut dur… Je devais en même temps m’améliorer en grammaire anglaise et apprendre à écrire.” Malgré un professeur l’encourageant à opter pour la littérature, Sulaiman Addonia mène des études et un début de carrière fructueux en économie. Il ne sait pas non plus pourquoi l’anglais est devenu l’outil privilégié pour porter ses idées. “Je me suis concentré sur mon objectif et j’y ai mis toute ma passion.”
Une méthode visiblement porteuse de succès puisque l’auteur a été élu membre de la Société royale de Littérature en juillet. “Cela représente beaucoup pour moi, surtout quand on repense à d’où je viens. Particulièrement en Angleterre où l’écriture est l’apanage d’une certaine élite et où tous les auteurs que vous croisez sont des hommes blancs d’un certain âge… Vous vous sentez perdants sur tous les plans parce que vous n’avez pas les mêmes origines, le même langage, le même passé. Implicitement, tout vous dit que vous ne ferez jamais partie du même monde et pourtant, aujourd’hui, je suis l’un des leurs…”
Festival littéraire Asmara-Addis
Entre son nouveau roman, l’organisation du festival littéraire Asmara-Addis et l’écriture de son script, ses journées sont chargées. “Le nom du festival est un hommage à mes parents: mon père était Éthiopien et ma mère Érythréenne, leurs deux pays étaient en guerre. Cela dit beaucoup de la force de leur amour. Je me suis dit qu’il fallait se concentrer sur les forces qui peuvent rassembler les gens.”
Il a imaginé cet événement lorsqu’il était à Londres en 2007. “Je suis arrivé en Belgique et j’avais un peu mis cette idée de côté. Et puis, j’ai été invité dans de nombreux festivals en Europe et j’ai été frappé par le fait qu’ils ne représentaient qu’un pan de la société. Il y a tant de langues parlées à Bruxelles et on n’en mentionne jamais que deux ou trois. Je voulais focaliser l’attention sur toutes ces langues dites minoritaires : espagnol, persan, Lingala, arabe,… Un soir, sur la place Flagey, je voyais tous ces gens parlant des langues différentes, je me suis dit que cela pourrait devenir un festival témoignant de la richesse de Bruxelles. Je ne sais pas pourquoi la Belgique ne met pas plus ces singularités en avant. Je pense qu’il y a un peu, comme à Londres, l’idée que tout le monde doit s’intégrer, mais ces réalités multiples rendent la société plus forte.”
D’édition en édition, le mouvement se renforce grâce au soutien de Bozar et Passa Porta, notamment. Un joli succès avec 60 artistes invités en mai dernier. “Comme dans mon livre, l’idée était de créer une atmosphère intime, un espace où chacun peut parler de ses rêves et d’amour.” La prochaine édition aura sans doute lieu à l’automne 2023.
Karin Tshidimba
La suite de l’interview est à lire dans cette note.