Les djihadistes ont fait leur deuil de leur califat en Syrie ou en Irak. Cap désormais sur le continent africain.
Depuis des mois, Al-Naba, l’hebdomadaire officiel de l’État islamique multiplie les messages pour saluer le courage des combattants en Afrique. Il a consacré en 2021 plus de la moitié de ses “unes” aux activités djihadistes en Afrique. Il tente ainsi de motiver et de mobiliser ses “lecteurs” à se rendre sur les nouveaux champs de bataille qui se développent sur ce continent qui accueille désormais 7 des 13 “provinces” de l’EI.
Dans le même registre, sur les six premiers mois de l’année 2022, la majorité des attaques revendiquées par l’État islamique l’ont été en Afrique, même si l’Irak demeure la région la plus ciblée par les attentats signés EI et si l’Afghanistan est toujours en tête des pays qui payent humainement le plus lourd tribut aux actions terroristes.
En nombre d’actions, le Nigeria (305 attaques visant surtout les communautés chrétiennes du pays) se détache largement en Afrique et titille désormais l’Irak (337 attaques), selon les calculs de Damien Ferré, expert sur les questions de djihadisme qui a publié un tableau éclairant sur son compte Twitter @Jihad_Analytics.
Derrière ces deux États, on retrouve la Syrie, mais on voit apparaître désormais le trio composé de la République démocratique du Congo (93 attaques), de l’Égypte (60) et du Mozambique (58) devançant sur ce continent la Somalie (21), le Mali (15), le Niger (14), le Tchad (9), le Cameroun (5) ou la Libye (3) autant de terrains d’expansion pour un mouvement djihadiste à la peine sur ses terres originelles.
Mais si le djihadisme gagne du terrain en Afrique, tous les experts sont unanimes pour affirmer que les deux univers ne peuvent être comparés tant les motivations des combattants sont disparates sur le continent. Si les “franchises” se multiplient dans de nombreuses régions africaines, elles n’ont que peu de points communs, aucune cohérence. Les groupes ou groupuscules qui ont fait allégeance à l’État islamique viennent d’horizons multiples, ce qui rend vain tout espoir de la création d’un califat. “Le djihad africain est teinté de quelque chose en plus du radicalisme”, explique Hassane Koné, chercheur à l’Institut des études de sécurité (ISS) à Dakar auquel on doit notamment une étude passionnante sur “les causes profondes des ralliements aux groupes djihadistes” dans l’Ouest africain.
En réalité, ces nouvelles “franchises” symbolisent à la fois la perte de vitesse de l’EI au Levant tout en donnant une nouvelle dimension et une certaine “aura” à ces mouvements africains au périmètre et aux moyens souvent limités.
Une dynamique teintée de marketing, un “win-win” qui offre une caisse de résonance aux deux parties. L’État islamique continue d’exister et se développe, tandis que les affiliés disposent rapidement d’une nouvelle notoriété, d’une nouvelle visibilité.
Des États quasi inexistants
Tout ce petit monde bénéficie évidemment aussi de la faiblesse de nombreux pays africains où les zones de non-droit et l’absence de toute forme d’État sont légion et où l’argent circule sans trop de difficulté.
L’Afrique du Sud vient d’ailleurs d’être épinglée sur ce sujet par un rapport d’experts aux Nations unies qui mettent en avant le fait que le pays du président Cyril Ramaphosa “est un canal de plus en plus important pour les fonds de l’État islamique”.
Selon ce rapport “un État membre de l’ONU a souligné l’importance émergente de l’Afrique du Sud dans la facilitation des transferts de fonds des dirigeants de l’État islamique vers les affiliés en Afrique. L’équipe de surveillance est au courant de plusieurs transactions importantes totalisant plus d’un million de dollars ces derniers mois”.
Au mois de mars dernier, les États-Unis ont déjà sanctionné quatre Sud-Africains suspectés de diverses activités de soutien à l’EI, notamment du financement de ses affiliés sur le continent. Une de ces quatre personnes sanctionnées est considérée comme un “recruteur”, un “entraîneur” et le chef d’une cellule de l’État islamique basée à Durban (est de l’Afrique du Sud) qui “a collecté des fonds par le biais d’opérations d’extorsion et d’enlèvement contre rançon”. Cette personne est aussi accusée par les États-Unis d’être en contact avec des membres de l’EI en République démocratique du Congo.
Le rapport des experts de l’ONU souligne aussi le manque de détermination des autorités sud-africaines à lutter contre ce fléau en rappelant que des officines nationales ont déjà expliqué il y a plusieurs mois “que la réticence du gouvernement à reconnaître l’existence du terrorisme en Afrique du Sud a un impact sur la capacité du pays à enquêter et à identifier les réseaux de financement du terrorisme”.