Angola : Guerre ouverte autour du rapatriement de la dépouille de l’ex-président

Angola : Guerre ouverte autour du rapatriement de la dépouille de l’ex-président

L’avion envoyé par les autorités angolaises restera encore quelques jours sur le tarmac de l’aéroport de Barcelone.


La dépouille de l’ancien président Eduardo dos Santos n’est en effet pas autorisée à quitter le territoire espagnol. Un juge du tribunal supérieur de justice de Catalogne s’est opposé, vendredi 15 juillet, à la remise du corps à la famille de l’ancien président angolais, au pouvoir de 1979 à 2017 et décédé à Barcelone le 8 juillet dernier, le temps d’effectuer des analyses complémentaires à l’autopsie.
Une autopsie réalisée à la demande d’une des filles de l’ancien président, Welwitschea, mieux connue sous le pseudo de Tchizé. À 44 ans, l’ancienne députée du MPLA, le parti au pouvoir, avait fait la une des médias en 2019 quand elle s’est lancée dans un grand réquisitoire contre le successeur de son père, le président Joao Lourenço, installé sur le trône angolais par Eduardo dos Santos avant de se lancer dans une grande campagne de lutte contre la corruption qui visait essentiellement la famille de son prédécesseur. Tchizé a notamment rapidement perdu son siège de députée pour une trop longue période en dehors du pays. Elle avait alors expliqué que ce “séjour” à l’étranger n’était pas un choix mais une obligation parce que le régime de Lourenço la menaçait. Dans la foulée, elle appelait à la “destitution” du président Lourenço, pour “persécution” à son égard et “coup d’État contre les institutions”.
Trois ans plus tard, Tchizé dos Santos, qui s’est construit une solide vitrine médiatique à travers les réseaux sociaux (elle flirte avec le million d’abonnés sur Instagram) n’a pas hésité à demander une autopsie du cadavre de son père, jugeant ce décès “suspect”. La fille du troisième mariage avait déjà porté plainte en Espagne quelques jours avant le décès de son père pour “tentative d’homicide”, accusant le médecin personnel de son père et sa dernière épouse, Ana Paula, d’être responsables de la détérioration de son état de santé.

Guerre familiale sans merci

Tchizé dos Santos, comme d’autres membres de sa famille, s’oppose aussi au retour du corps de son père en Angola. “Il souhaitait être enterré dans l’intimité en Espagne”, où il vivait depuis 2019, et non dans son pays “avec des funérailles nationales qui pourraient favoriser le gouvernement actuel” du président Joao Lourenço, avait expliqué dans un communiqué un de ses avocats.
Dans ce dossier, tous les coups semblent permis entre les enfants des trois premières noces de l’ancien président et la dernière épouse, Ana Paula, ex-hôtesse de l’air devenue première dame d’Angola en 1991 et qui a, elle, donné quatre enfants à l’ancien président qui, en quatre mariages et une relation extra-maritale aura eu neuf enfants.
Les enfants des trois premières noces accusent la dernière épouse d’être à l’origine du décès de leur père. Selon eux, cette belle-mère avait disparu des radars familiaux dès que leur père a perdu son pouvoir avant de réapparaître à Barcelone au printemps dernier alors qu’Eduardo Dos Santos était revenu décharné d’un long séjour au pays.

Plan machiavélique

Selon plusieurs témoins, l’ancien président, qui avait quitté le pays peu après avoir perdu la tête de son parti en 2018, avait été “grugé” par des partisans de son successeur qui l’ont poussé à rentrer au pays. “Des députés du MPLA, historiquement proches de dos Santos, ont été envoyés en Espagne. Ils ont fait miroiter une chute de Lourenço”, explique un témoin qui confirme plusieurs témoignages reçus des milieux diplomatiques. Selon ces dires, ces émissaires ont expliqué qu’il fallait se “débarrasser de Lourenço” et qu’une majorité des députés allaient voter une motion de censure contre le budget ce qui entraînerait la chute du Président. Dos Santos est alors invité à rentrer par ces émissaires. Le “vieux” président accepte et se retrouve en septembre 2021 à Luanda dans les mailles du filet tendu par son successeur qui cherche, lui, à obtenir l’image d’une réconciliation avec son prédécesseur qui apparaît toujours pour nombre d’Angolais comme la figure tutélaire du Mouvement pour la Libération totale de l’Angola (MPLA), l’homme qui a participé à la chute des colons, à la naissance de l’État indépendant mais aussi à la lutte contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud alors que le parti au pouvoir dont a hérité Lourenço est plus divisé que jamais.
Eduardo dos Santos comprend vite qu’il s’est fait piéger, qu’il n’obtiendra pas la chute de l’homme qu’il a installé lui-même sur le fauteuil présidentiel. Il tente alors de jouer le jeu pour obtenir la libération de son fils Filomeno, dit “Zenu”, condamné à cinq ans de prison pour détournement d’argent public quand il était à la tête du Fonds souverain d’Angola, mais aussi pour obtenir que le régime cesse sa “chasse ouverte” contre sa fille aînée, Isabel Dos Santos, régulièrement présentée par le magazine américain Forbes comme la femme la plus riche et la plus influente d’Afrique, qui fut notamment, quelques années, à la tête de la société publique de production angolaise de pétrole Sonangol.
Une rencontre est organisée à Luanda entre l’ancien et l’actuel président. Elle ne durera que quinze petites minutes. Le temps surtout pour le tenant du pouvoir de se faire photographier avec son prédécesseur. Eduardo dos Santos n’aura pas le temps de plaider la cause de ses enfants. L’ancien homme fort du pays devra patienter de longs mois avant de pouvoir reprendre un vol en direction de l’Espagne. “Il sera véritablement abandonné. Les rares images montrent un homme vieilli prématurément, perdu dans ses vêtements tant il a perdu du poids”, explique une source diplomatique.
Quand il peut enfin quitter le pays, en mars dernier, Dos Santos pèse 46 kg, c’est un homme décharné, que beaucoup présentent à l’agonie. Mais, bien encadré, pris en charge par les médecins de Barcelone, “il remonte progressivement la pente”, explique un témoin qui ajoute : “Sa mort est donc d’autant plus surprenante.”
Les résultats préliminaires de l’autopsie pratiquée la semaine dernière en Espagne indiquent “une mort naturelle”, avec des problèmes d’“insuffisance cardiaque” et de “surinfection pulmonaire”, selon une source proche du dossier cité par le journal Le Monde. Certains parlent toutefois sur base de ces éléments d’un arrêt respiratoire et non d’un arrêt cardiaque, ce qui relance les accusations entre les deux clans familiaux. Les plus grands enfants continuent d’accuser le médecin et la dernière épouse. Ces derniers pointant un doigt accusateur vers Isabel dos Santos pour les médicaments qu’elle aurait donnés à son père.

Élections générales le 24 août

Pour les enfants, pas question que le corps de leur père retourne au pays avant le scrutin général du 24 août, pas question qu’il puisse être utilisé comme argument politique par le pouvoir. “Mon père ne voulait pas être enterré par Joao Lourenço”, a encore expliqué le 12 juillet Tchizé dos Santos lors d’un entretien à la chaîne CNN Portugal.
Le président Lourenço, comme la dernière épouse, veulent, eux, ce retour. Dès l’annonce du décès, le pouvoir à Luanda a misé sur une “séquence émotion” qui doit le servir lui et son parti dans la perspective de ce scrutin qui est loin d’être gagné pour un MPLA donné régulièrement second dans les sondages derrière son ennemi de toujours l’Unita, désormais dirigée par le charismatique Adalberto Costa Junior qui s’est associé à divers mouvements politiques pour former le Front populaire uni.
Semaine de deuil national, ouverture d’un livre de condoléances à Luanda, la capitale, et dans toutes les provinces, pour permettre aux Angolais de rendre un dernier hommage à l’ancien président, les autorités nationales tentent de marquer des points politiques en jouant la carte de l’émotion et du lien affectif avec le défunt. Aucun calendrier n’a toutefois été annoncé pour d’éventuelles obsèques officielles en Angola.
Le temps judiciaire, surtout en période estivale, n’a aucun lien avec le temps politique. Les deux camps le savent pertinemment et continuent leur bras de fer.
Un non-retour de la dépouille serait un désaveu cinglant pour le pouvoir de Lourenço qui détient pourtant entre ses mains toutes les ficelles de l’organisation du scrutin. Mais le MPLA, parti historique de la libération du pays, a perdu la légitimité de ce combat, tandis que l’Unita n’est plus le suppôt américain qu’il était sous Jonas Savimbi.
Les cartes sont rebattues, à l’image de l’ANC de Nelson Mandela vacillant en Afrique du Sud ou le Frelimo mozambicain en perte de vitesse, le MPLA est dans les cordes, au point d’être contraint de se battre pas à pas pour rapatrier coûte que coûte la dépouille d’un ancien président qu’il a éjecté sans ménagement du pouvoir.

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