Hubert Leclercq,
Envoyé à Kinshasa
“Vous pensez que c’est en remettant une médaille à un vieux soldat, en ramenant un masque en prêt, fût-il illimité, une notion juridique que je ne maîtrise pas trop, et en annonçant pour une énième fois une relance de nos relations, que vous allez aider les Congolais ?” interroge faussement un avocat kinois qui porte un regard pour le moins circonspect sur cette visite royale belge qui s’est achevée le 13 juin après un déplacement unanimement apprécié à l’hôpital de Panzi de Bukavu, au Sud-Kivu, chez le docteur Mukwege.
“Heureusement qu’il y avait cette visite, fulmine Sonya, une jeune professionnelle qui travaille dans les réseaux sociaux. “Jusque-là, on avait le sentiment que les Belges étaient venus pour montrer leur attachement à Félix Tshisekedi et faire de belles photos au soleil en achetant des pagnes contrefait.s”
Sonya, 25 ans, fait allusion à une sortie royale au bord du fleuve Congo. Là, le couple a visité un marché aux pagnes où se vendent à prix cassé des tissus fabriqués essentiellement en Chine. “Il y a encore une entreprise vraiment congolaise qui produit des pagnes de chez nous, mais c’est à Kisangani. Il y a aussi Vlisco, qui est une société hollandaise qui fait des pagnes. Loin devant ces échoppes pour touristes qui ont été visitées par votre roi et votre reine.”
Sur l’avenue du 24 Novembre, non loin de l’école des Beaux-Arts de Kinshasa, Djugu, chauffeur de taxi au chômage, “et donc sans revenu parce que la police a crevé les quatre pneus de [s]a voiture parce qu’[il s’est] retrouvé au milieu d’une manifestation”. “Aujourd’hui, je cherche l’argent pour acheter d’autres pneus, d’occasion, bien sûr.”
“Le minimum à manger, la paix à l’Est”
Pour lui, “les regrets n’ont jamais rempli une assiette, ni un réservoir d’essence”. Comme la majorité des Kinois, il attendait plus de la venue du couple royal belge.
Séverine abonde dans son sens. Elle sort du Swiss Market, une des enseignes qui se multiplient dans la ville et qui sont gérées par des Indiens ou des Libanais. “Évidemment, on aurait aimé plus. Mais, pour en avoir beaucoup discuté à la maison avec mon mari, on savait qu’on ne pouvait pas attendre beaucoup de votre visite. Ce n’est pas à vous de réparer ce pays. En plus de soixante ans, on a eu le temps de prendre les choses en main et de construire un pays, mais on n’a rien fait. Les responsables politiques, sans exception, les uns après les autres, de Mobutu à Tshisekedi (elle susurre le dernier nom en regardant autour d’elle), se sont enrichis sur le dos du peuple. Ce dernier régime est peut-être le pire dans ce sens, la corruption atteint des sommets”, termine cette diplômée en sciences économiques sans emploi, obligée de vivre avec son mari et sa petite fille chez ses parents.
“Ceux que vous voyez dans la rue pour vous acclamer, ce sont des chômeurs, des mendiants qui viennent chercher 500 ou 1 000 francs congolais(25 ou 50 cents NdlR) pour agiter des drapeaux en espérant recevoir en plus un T-shirt ou une casquette. Il n’y a rien de spontané”, enchaîne Christ, 42 ans, “nettoyeur” dans un petit hôtel de Kinshasa. “J’ai 45 dollars par mois. Je travaille huit heures par jour, six jours par semaine et je ne suis pas le plus à plaindre. Ma femme travaille aussi et gagne la même chose que moi, c’est difficile, mais on s’en sort. Ici, à Kinshasa, les gens ont faim, certains le criaient sur le passage du convoi royal. La colère ne cesse de gonfler. Parfois, il s’agit de haine, vraiment, à l’égard du pouvoir et de cette nouvelle classe qui est revenue de Bruxelles et de Paris dans les bagages du président Félix. ‘Le peuple d’abord’, le slogan du père du Président, ne séduit plus personne, dit-il encore avant de conclure : Dans ce pays tout est politique. La visite royale aussi. On aurait aimé plus d’attention pour la situation à l’Est et moins de proximité avec M. et Mme Tshisekedi.”