« Pour certains, nous les enterrions alors qu’ils respiraient encore ». Au procès à Paris d’un ex-préfet rwandais pour génocide, un rescapé a raconté mercredi comment il avait dû ensevelir des victimes et avait lui-même échappé plusieurs fois à la mort.
A la barre de la cour d’assises de Paris, Claude Ndorimana a livré d’une voix ferme son récit du massacre de la paroisse de Kaduha, dans la préfecture de Gikongoro, l’une des plus durement touchées par le génocide des Tutsis.
L’ancien préfet de cette région Laurent Bucyibaruta, 78 ans, est jugé depuis le 9 mai pour génocide, complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité, des accusations qu’il conteste.
Après avoir entendu les témoins de la tuerie survenue du 11 au 15 avril 1994 à l’église de Kibeho puis des massacres du 21 avril à Murambi et à la paroisse de Cyanika, la cour se penche sur celui de Kaduha, également déclenché le 21 avril.
Plus de 20.000 Tutsis s’étaient progressivement réfugiés dans l’église, les salles de classe et le centre de santé de cette paroisse, fuyant de premiers meurtres dans leur voisinage.
Partie civile au procès, Claude Ndorimana avait 16 ans à l’époque. Etudiant à l’école agro-vétérinaire de Kaduha, il était alors en vacances.
Avec ses six frères et soeurs, ils songent d’abord à se cacher « dans les faux-plafonds » ou « dans les collines », mais « ce qu’ils font en premier c’est d’incendier » ces endroits, le prévient sa mère.
Son histoire familiale est marquée par les précédents massacres de Tutsis: « la famille de mon père (…) a été tuée en 1963, seul mon père a survécu ». Ce dernier décèdera en 1993.
Arrivé à Kaduha, il se sépare de sa famille pour rejoindre son école, qui jouxte la paroisse. Le directeur a en effet donné comme instruction de permettre aux élèves de s’y réfugier.
« Nous étions onze » dans ce cas, raconte Claude Ndorimana.
– « J’ai suivi, j’ai tué » –
Le 21 avril, il est « réveillé par des explosions de grenades ». Caché derrière un mur, « j’ai observé comment (les gendarmes) étaient en train de fusiller, de découper, de lancer des grenades. Je voyais la route qui mène à l’église: tout cet endroit était jonché de corps ».
Il côtoie ensuite les tueurs, venus déjeuner à l’école. Lui et ses camarades n’échappent à leurs griffes que parce qu’ils étaient trop jeunes pour avoir une carte d’identité (qui mentionnait l’ethnie hutu ou tutsie). L’un des cuisiniers et son fils n’auront pas cette chance.
Claude Ndorimana raconte aussi que certains élèves hutus ont « prêté main forte aux massacres », le 21, puis le 22, « en achevant les personnes qui n’étaient pas complètement mortes ».
En costume bleu marine, fine moustache, il s’excuse et sort un mouchoir, à l’évocation de la journée suivante, où les élèves réfugiés ont eu l' »obligation d’enterrer les personnes » qui s’étaient échappées de la paroisse et étaient « mortes dans l’école ».
« Quand on jetait quelqu’un, avant qu’on jette le suivant, on mettait de la terre », et pour certains, « on pouvait voir la terre bouger par le rythme de la respiration ».
« Parmi ces derniers, j’ai trouvé la cadette de ma famille, qui n’avait que six ans. (…) Elle n’était pas complètement morte. J’ai tenté de lui parler mais elle ne pouvait pas me répondre », se souvient-il. Sa mère et trois autres de ses frères et soeurs trouvent également la mort.
Au cours des semaines suivantes, marquées par l’avancée du Front patriotique Rwandais (FPR, majoritairement Tutsi), les jeunes réfugiés poursuivent leur cohabitation avec leurs camarades-assaillants, « qui dormaient avec des grenades et des machettes », selon lui.
« Le jour même où ils avaient prévu de nous tuer », « ils ont été pris de court » par l’arrivée de militaires français, qui les transporteront en lieu sûr, à Murambi.
Si personne n’a vu Laurent Bucyibaruta sur place, l’un des hommes condamnés au Rwanda pour le massacre a assuré mercredi l’avoir vu lors d' »une réunion sur la place du marché », « une semaine avant », durant laquelle le message des responsables présents était selon lui: « l’ennemi c’est le Tutsi ».
Une version contestée par la défense, qui souligne que le témoin n’avait jamais évoqué cette présence auparavant.
« J’ai entendu les directives et j’ai suivi, j’ai tué », explique cet agriculteur aujourd’hui âgé de 55 ans, avant d’exprimer des regrets.
Le génocide, déclenché le 7 avril après l’attentat contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, a fait quelque 800.000 morts selon l’ONU, essentiellement des Tutsis.