Vu les enjeux économiques dans la région, les voisins ont plus à perdre qu’à gagner de cette instabilté.
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, le président de l’Union africaine Macky Sall, le secrétaire d’État américain Antony Blinken et même le pape François, tous sont intervenus depuis une semaine pour appeler à la retenue, à la fin des violences et au dialogue dans l’est de la République démocratique du Congo, ce bout de paradis potentiel – tant la région est belle et riche – devenu l’épicentre du chaos, de l’inhumanité et de la violence discontinue depuis plus d’un quart de siècle.
Au centre de ce regain de l’attention internationale, la reprise des hostilités entre le mouvement rebelle du M23, qu’on espérait définitivement dissout depuis sa défaite militaire de 2013, et les troupes de l’armée nationale congolaise (FARDC). Les heurts ont repris depuis plus de six mois. Mais ils étaient sporadiques jusqu’au 22 mai et la reprise d’affrontements violents au nord de Goma, dans le Nord-Kivu placé sous état de siège depuis un an.
Depuis la fin de 2021, le M23, pour “mouvement du 23 mars”, a refait surface. Il reproche au pouvoir congolais de ne pas avoir respecté des engagements sur la démobilisation de ses combattants. “Certains combattants avaient demandé à retourner au pays, dans l’armée, en conservant leurs grades. Certains revendiquaient aussi l’amnistie. Des points impossibles à faire passer dans l’opinion publique en RDC”, explique un activiste congolais installé à Goma.
Depuis plus d’une semaine, Kinshasa accuse Kigali d’être derrière cette reprise des hostilités. Le Rwanda dément. Kinshasa dit disposer de preuves (des uniformes, des armes, des munitions de l’armée rwandaises retrouvés sur les lieux des affrontements). Pas de quoi ébranler le président Kagame.
De nombreux perdants
Au premier rang des perdants de cette reprise des combats, la population civile du Nord-Kivu. Plus de 72 000 personnes ont fui leur maison depuis le 22 mai, selon des chiffres du Haut-Commissariat aux réfugiés qui explique qu’“au moins 1,9 million de personnes sont déplacées dans le Nord-Kivu”. La RDC détient par ailleurs le “record” du nombre de déplacés au sein de ses frontières, avec 5,6 millions de personnes en exil forcé dans leur pays.
Autre perdant : le pouvoir congolais qui a fait de la paix dans l’Est son cheval de bataille. “Notre combat sera celui de vous apporter la paix, une paix définitive, une paix nécessaire pour la stabilité de notre pays. Et cette paix, croyez-moi, je suis prêt à mourir pour qu’elle soit une réalité”, avait déclaré lors d’un rassemblement public à Bukavu, dans le Sud-Kivu, le 7 octobre 2019, le président Tshisekedi. Depuis, malgré un an d’état de siège, malgré des patrouilles communes avec l’armée ougandaise sur le sol congolais, malgré des tentatives de négociations avec une partie des groupes rebelles, les massacres se poursuivent, le pouvoir montre ses limites. Cette instabilité dans l’Est met déjà en question la tenue de la présidentielle fin 2023.
Face à cette incapacité de l’État de mettre un terme à ces violences, la société civile de l’Ituri vient de lancer un appel aux opérateurs économiques pour qu’ils cessent de s’acquitter de leurs devoirs financiers.
Le Rwanda, lui, n’a rien à gagner dans cette flambée de violence. Les mesures prises par Kinshasa dans l’espoir de mettre fin aux hostilités dans l’Est n’ont jamais entamé le business rwandais sur sa frontière avec la RDC. Pis, la reprise des hostilités, le fait d’être fustigé une fois encore pour son activisme supposé en RDC, nuit à l’image d’un État qui tente de se bâtir une stature internationale.
Même constat pour l’Ouganda. Assis sur d’importantes réserves de pétrole, Kampala a besoin de stabilité dans la région pour tirer le meilleur profit de cette richesse surtout en ces temps de flambée des cours et pour avancer sur ses projets de pipeline mais aussi d’axes routiers très profitables en RDC.
Peu de gagnants, mais…
Le M23 a montré qu’il pouvait encore frapper et que nier ce mouvement, comme a tenté de le faire le pouvoir à Kinshasa, pouvait coûter cher. Et tant qu’il s’agit de “coups de semonce”, pour reprendre les termes d’un officiel congolais, qui demeurent dans les frontières congolaises, les voisins évoqués ci-dessus ne bougeront pas. Tshisekedi sort affaibli de cette séquence, ce qui n’est jamais pour leur déplaire.
Certains militaires congolais, eux, s’en sortent bien. Kinshasa planche sur une levée de l’état d’urgence. De nombreuses voix dans les Kivus et l’Ituri appellent à remplacer les responsables militaires en poste dans ces provinces. Beaucoup se sont fortement enrichis dans ce chaos qu’ils ont entretenu. Les bruits de bottes qui secouent la région devraient leur garantir le statu quo. Dilemme de taille pour le pouvoir congolais qui n’ignore rien de cette situation et de l’écueil qu’elle représente pour la paix mais qui craint de se mettre à dos de puissants hauts gradés affairistes.