RDC : À 18 mois de la présidentielle, Kinshasa replonge déjà dans ses travers

RDC : À 18 mois de la présidentielle, Kinshasa replonge déjà dans ses travers

Comme sous Kabila, catholiques et protestants mobilisent le peuple face à la mauvaise gestion du pouvoir en place, tandis que de futurs candidats à la présidentielle sont déjà dans le viseur de la majorité et que plus de cent parlementaires sont menacés de perdre leur siège suite à une pétition.

Les têtes d’affiche ont changé mais les constats sont tristement les mêmes. En janvier 2019, l’arrivée au sommet de l’État de l’opposant Félix Tshisekedi, la première passation de pouvoir pacifique (à défaut d’être démocratique) devait ouvrir une nouvelle ère pour la République démocratique du Congo après 17 ans de Kabila.

RDC: première dispersion d’une manifestation interdite sous Tshisekedi

Moins de trois ans et demi plus tard, le temps est au désenchantement comme le fait remarquer le dernier communiqué du 30 avril 2022 des “Forces sociales et politiques de la nation”, intitulé “Peuple congolais, prenons notre destin en mains. Trop, c’est trop”. Signée par les mouvements catholiques et protestants du pays, cette déclaration appelle à “un sit-in devant le Palais du peuple” vendredi 6 mai et entend mobiliser la population congolaise “pour barrer la route au passage en force sur les réformes électorales”.

Un âcre parfum de colère qui rappelle ce que le pays a connu sous le précédent régime. Pour mobiliser, les “forces sociales et politiques de la nation”posent quatre constats qui débutent en reprenant les termes de feu le cardinal Monsengwo : “Notre pays va mal, très mal”.

Elles énumèrent ensuite “le manque de leadership exemplaire, compétent et visionnaire”, “les restrictions des libertés citoyennes, les répressions sanglantes des manifestations publiques pacifiques, les arrestations arbitraires et emprisonnements des militants des partis politiques, ces activistes des mouvements citoyens…”, avant d’accuser le pouvoir de chercher “à tout prix à se maintenir au pouvoir au moyen de la fraude électorale ou soit d’un glissement” (le report du scrutin).

La prochaine élection présidentielle, qui doit constitutionnellement se tenir avant la fin décembre 2023, est déjà omniprésente dans les discussions politiques kinoises.

Un ex-Premier ministre et un outsider ciblés

Ce week-end du 1er mai, l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo a ainsi annoncé la création de son parti politique Leadership et Gouvernance pour le Développement (LGD). La présentation officielle de ce nouveau parti doit se faire ce mardi 3 mai à Kinshasa. On se souviendra que l’ex-chef du gouvernment avait un temps été pressenti comme le dauphin de Joseph Kabila avant que celui-ci ne désigne finalement Emmanuel Shadary. L’homme à l’éternelle cravate rouge, aujourd’hui sénateur, n’est pas en odeur de sainteté dans les rangs de la nouvelle majorité. L’homme a dû faire face à une levée de son immunité parlementaire par le bureau du Sénat pour des faits de “détournement de fonds publics” dans le dossier du projet agroalimentaire de Bukanga Lonzo qui s’est révélé être un gouffre sans fond. Mais la Cour constitutionnelle appelée à examiner le dossier s’est déclarée non compétente. Une situation qui embête aujourd’hui la majorité présidentielle qui a perdu ce levier judiciaire pour tenter de barrer la route au candidat Matata Ponyo.

RDC : Matata nouvelle cible de la présidence de la République

Car l’actuelle majorité politique sait qu’elle ne part pas avec les faveurs des pronostics pour la prochaine joute électorale. Son bilan est famélique et la crise économique devrait encore s’accentuer à l’approche du scrutin, notamment à cause de la guerre en Ukraine qui va considérablement impacter les importations de matières premières dont la RDC dépend largement. Interrogé sur les raisons de cette candidature, Augustin Matata Ponyo explique à La Libre Belgique qu’il veut “présenter une offre politique nouvelle au peuple congolais”. Il insiste sur les résultats de sa gestion quand il était à la tête du gouvernement. “J’ai démontré que les projets pouvaient aboutir. Les instances internationales, FMI en tête, ont salué mon travail. Le même FMI m’a même qualifié de meilleur Premier ministre depuis l’accession du pays à l’indépendance”, avant d’expliquer, “on met à part Patrice Lumumba qui n’a pas eu le temps de travailler pour le bien du pays”.

Matata Ponyo, même s’il a quitté la formation de Joseph Kabila (PPRD) en janvier 2021, peut-il vraiment incarner un renouveau politique ? L’homme veut s’en persuader. Il insiste sur sa volonté de gestion rigoureuse et professionnelle. Il martèle qu’il veut un vrai parti politique avec, notamment, un “vrai siège pour cette formation”. “Ça peut paraître secondaire mais c’est plus qu’un symbole. Même le PPRD de Joseph Kabila n’a pas de siège, il loue ses bureaux à la société de chemin de fer congolais. Le seul qui peut présenter un siège, c’est Moïse Katumbi. Bientôt, nous serons deux.

RDC : Qui veut la peau de Matata et pourquoi ?

Deux candidats de l’est, n’est-ce pas un de trop ? “Nous pourrons nous parler avec Moïse Katumbi si le besoin s’en fait sentir.”

Inévitablement, avec cet horizon électoral qui se dessine, l’ombre de l’ancien gouverneur du Katanga se remet à planer sur la RDC. En 2018, Moïse Katumbi avait été empêché de concourir par le régime Kabila. Interdit de rentrer au pays à l’heure de déposer sa candidature. Qu’en sera-t-il cette fois ? Katumbi a restructuré son parti, il le remodèle, mais il a perdu quelques-uns de ses lieutenants qui ont succombé aux sirènes du pouvoir de Félix Tshisekedi, comme le ministre du Plan Christian Mwando, ou celui des Affaires étrangères Christophe Lutundula. Sa volonté de rester dans l’Union sacrée tout en se réservant le droit d’être critique à l’égard du pouvoir ont rendu son positionnement moins lisible. Mais l’ex-gouverneur, le “chairman” du TPMazembe (l’un des plus grands clubs de football du continent africain) demeure un outsider de taille face à n’importe quel pouvoir. L’équipe Tshisekedi ne l’ignore pas. L’année dernière, une proposition de loi avait tenté d’exclure de la magistrature suprême les Congolais qui ne sont pas nés de mère et de père congolais. Une proposition taillée sur mesure contre Moïse Katumbi (son père était un juif grec) qui a finalement été retirée suite au tollé général qu’elle avait suscité tant en RDC qu’à l’étranger. Mais la majorité présidentielle ne semble pas avoir dit son dernier mot et pourrait ressortir les grandes lignes de ce texte dans un amendement à la loi électorale en cours de discussion actuellement au parlement.

Chaos à l’Assemblée nationale

À l’Assemblée nationale, c’est une pétition contre le président de l’institution Christophe Mboso qui avive les tensions. Le texte de la pétition, signée par 132 élus sur les 500 de la chambre basse, n’a pu être déposé au “bureau du courrier”, celui-ci ayant été fermé (!) sur injonction du président. “Les employés de ce bureau ont même été temporairement renvoyés”, nous explique un élu. En guise de contre-attaque, le président Mboso a initié en plénière une commission chargée de statuer sur le sort d’une centaine de députés menacés de destitution pour absentéisme. Une liste de députés menacés aurait été dressée mais elle n’a jamais été dévoilée. “On ne sait pas non plus les critères exacts qui prévalent à cette menace de destitution. Tout se fait à la discrétion du président de l’Assemblée”, explique un élu du Katanga. “Quand il a été interrogé par des parlementaires le président Mboso a balbutié et a dit que 117 députés sont concernés, avant d’ajouter qu’il s’agissait d’élus de la majorité et de l’opposition. Mais dans les noms qui ont filtré, on ne retrouve que des élus de l’opposition”, poursuit-il.

Et la composition de la commission pose aussi question. “Il y a 15 membres, tous sont proches de la majorité. Treize sont membres directs de l’Union sacrée, les deux autres, deux dames, sont issues des rangs de l’opposition mais elles ont refusé de signer la pétition contre le président Mboso”, explique le député Papy Niango, à l’origine de la pétition. L’homme, qui fut longtemps un compagnon de route politique d’Étienne Tshisekedi, s’est fait une spécialité de dénoncer notamment les “primes d’assiduité” versées aux parlementaires lors des séances de vote. “Des députés sont absents pendant les débats mais viennent lors des votes parce qu’ils savent qu’ils recevront cette prime. Souvent 500 dollars par député”, explique Papy Niango qui s’interroge sur le sens de ces primes pour des élus déjà rémunérés pour leur travail “et qui ont été élus pour participer au débat démocratique, pas pour engranger des dollars à chaque vote”. Et d’ajouter qu’“à 500 dollars par député, cela peut représenter une enveloppe de 250 000 dollars par vote. D’où vient cet argent qui n’a pas été budgété dans les frais de fonctionnement de l’Assemblée ?”.

Quant à l’absentéisme, plusieurs élus rappellent qu’ils ont tous reçu des modems pour pouvoir suivre les débats sans être présents dans l’hémicycle pour éviter la propagation du coronavirus et à la demande des autorités sanitaires…

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