RDC : La vulnérabilité des femmes se dissout dans la solidarité

RDC : La vulnérabilité des femmes se dissout dans la solidarité

Reportage Olivier le Bussy (Photo Christophe Smets/La Boîte à images),
envoyé spécial dans le Sud-Kivu

Les femmes victimes de violences sexuelles au Sud-Kivu viennent souvent de milieux très démunis. La Fondation Panzi et d’autres les aident à gagner leur autonomie financière.

Flotte dans l’atmosphère cette excitation gaie de la fin des heures de classe, qui a sonné peu après midi. Les salles qui bordent la longue cour intérieure de la Maison Dorcas libèrent par dizaines les jeunes filles qui ont suivi leur formation, qui de coupe-couture, qui de maroquinerie, qui de vannerie, de pâtisserie, de menuiserie, de savonnerie, d’informatique, de bijouterie… C’est “Maman Zawadi”, la sœur du Dr Denis Mukwege, qui a fondé la première Maison Dorcas, au milieu des années 2000, à Bukavu, pour accueillir les femmes qui avaient fui les conflits ravageant l’est de la République démocratique du Congo et n’avaient nulle part où aller. Initialement porté par l’association Beatil-Alt créée par Herman Mukwege, le frère aîné du Prix Nobel de la paix, le projet a été intégré et développé à la Fondation Panzi, créée en 2008 par le Dr Mukwege. La Maison Dorcas III est aujourd’hui le siège de la Fondation et un lieu d’hébergement temporaire et d’apprentissage pour une cinquantaine de jeunes filles et femmes (certaines avec leur enfant en bas âge), après leur passage par le service SVS (pour “Survivantes de violences sexuelles”) de l’hôpital de Panzi, situé à un jet de pierre.

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La Maison Dorcas, un havre où se consolider

L’approche du Dr Mukwege pour réparer les femmes victimes de violences sexuelles s’étend au-delà des soins médicaux et psychologiques. Nombreuses sont les “SVS” issues de milieux ruraux reculés, poches de pauvreté dans un pays pauvre. “Se pose la question de ce qu’elles vont devenir après leur séjour à Panzi”, indique Cathy Kirhero, responsable du pilier “réinsertion socio-économique” à la Fondation. Selon son âge, sa situation et son souhait, une bénéficiaire se voit offrir “la possibilité de reprendre des études, d’être formée à différents métiers, de créer une activité génératrice de revenus ou de s’adonner à l’agriculture”, détaille Mme Kirhero. “Celles qui habitent la ville ou les environs peuvent retrouver leur famille et revenir chaque jour suivre les formations. En revanche, il est des bénéficiaires qui ne peuvent pas rentrer directement chez elles pour des raisons de sécurité, de distance avec le centre de formation ou parce qu’elles doivent rester près de l’hôpital pour un suivi médical. Elles trouvent à la Maison Dorcas un service d’hébergement transitoire (gratuit, NdlR) en attendant qu’elles soient guéries ou qu’elles aient terminé leur formation”, dont la durée est de six mois.

Autre projet soutenu par la Fondation Panzi, la Cité de la joie voisine, fondée par Christine Schuler Deschryver, accueille aussi des jeunes femmes brisées par le viol, avec pour objectif de leur donner l’autonomie nécessaire pour reprendre en main le cours de leur vie. Mais, si les pensionnaires de la Cité de la joie ont au moins 18 ans, “ici, on peut retrouver des gamines de 11 ans, enceintes de leur agresseur”, précise Alice Lusambo Amina, qui pratique la danse-thérapie à la Maison Dorcas. “Pour les formations, nous prenons aussi des filles des environs qui ont peu de moyens et nous les mélangeons avec nos pensionnaires pour éviter que celles-ci soient stigmatisées. Nous pouvons avoir jusqu’à 280 filles dans les différentes formations”, parfois assurées par des anciennes de la Maison Dorcas.La formation est de qualité, comme en témoignent les vêtements, sacs, chaussures et bijoux en vente à la boutique de la Fondation à des prix hors de portée de l’immense majorité des bourses congolaises.

Âgée de 18 ans, Fortune suit la formation de coupe-couture, “ce qu’elle avait toujours rêvé de faire”. Elle avait été hospitalisée à Panzi après avoir été violée “par un bandit qu’elle a croisé” sur l’île d’Idjwi, sur le lac Kivu. “Mon agresseur a été envoyé en prison. Mais, quand tu as reconnu ton bourreau, tu es en danger. Sa famille cherche à s’en prendre à toi.” Aussi la porte de la Maison Dorcas s’est-elle ouverte à elle. “Ici, je me suis fait des copines, j’ai développé l’estime de moi et j’ai appris mes droits que j’ignorais, parce que je n’avais jamais été à l’école. Je sais que je vais avoir une vie bien meilleure”, assure-t-elle, dans un sourire.

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Coup de pouce, cohésion sociale et esprit d’entreprise

Des quelque 1.500 femmes soignées chaque année au service SVS de l’hôpital de Panzi, seule une petite proportion passe par la Maison Dorcas. Les autres retournent dans leur communauté ou sont contraintes d’aller vivre ailleurs quand elles subissent l’injustice d’être rejetées parce qu’elles ont été violées. Pour favoriser la réinsertion socio-économique de ces femmes, la Fondation et ses partenaires appuient le lancement d’activités génératrices de revenus (AGR). L’ONG belge Mamas for Africa vient ainsi en aide “aux plus nécessiteuses, après avoir étudié les ressources dont elles disposent : les femmes abandonnées par leurs maris, les veuves, les malades, les très pauvres. On voit celles qui sont capables de mener une activité et nous leur demandons laquelle elles voudraient exercer. L’aide de 50 dollars est donnée en une fois, mais sans en informer personne dans la communauté pour ne pas susciter de jalousie, puis nous faisons un suivi de six mois”, rapporte Régine Mukome, assistante psychosociale. “SVS”, veuve et mère de cinq enfants, Mélanie était en “très grande difficulté financière” quand elle travaillait “le champ d’une autre personne pour 1 dollar par jour” dans la région de Kalehe. Avec le montant reçu, elle a acheté une chèvre et s’est lancée dans le commerce de haricots, achetés chez le producteur puis revendus au marché. Abandonnée par son mari après avoir subi un viol, Ghislaine a, elle, profité de la rampe de lancement financière pour vendre du fretin : “J’achète chaque jour aux pêcheurs pour 80 000 à 90 000 francs congolais (40 à 45 dollars) de fretin que je vends frais ou que je fais sécher. Je fais un bénéfice de 10 dollars et j’en conserve une partie pour la famille.”

La Fondation Panzi encourage et favorise aussi la mise en place de structures collectives, telles que les Associations villageoises d’épargne et de crédit (Avec) ou les mutuelles de solidarité (Muso) – les premières sont temporaires, les secondes permanentes. “Elles regroupent des femmes qui ont connu les mêmes expériences, ce qui leur permet de ne pas se sentir seules”, souligne Cathy Kirhero, mais intègrent aussi “d’autres femmes vulnérables pour éviter la stigmatisation et pour soutenir d’autres membres de la communauté”. Avant d’être repris par Panzi, le système des Muso a été développé au Sud-Kivu par Beatil-Alt, qui continue de soutenir ce type de groupement. Un Muso rassemble une vingtaine de femmes d’une même zone qui ont une activité génératrice de revenus (individuelle ou commune). Chaque Muso gère trois caisses. “La caisse verte reçoit les cotisations hebdomadaires, qui varient, selon les capacités des membres et le règlement intérieur de la Muso, de 500 à 5000 francs congolais (1 euro vaut 2 200 francs congolais, NdlR). Elle est utilisée pour accorder des crédits aux membres”, expose Alain Balel’embaka, chargé de programmes à Beatil. “Dans la caisse rouge sont versées 20 % des cotisations. Elle sert de caisse d’entraide sociale en cas de deuil, de maladie, de maternité… Enfin, la caisse bleue est alimentée par les donateurs ou les bénéfices générés par des activités communes et appuie le projet, à travers des investissements, par exemple.”

Le Dr Mukwege insiste sur l’importance des Muso, “parce que les gens ont besoin de se faire confiance mutuellement”. Ce système est largement répandu au Sud-Kivu et poussé par d’autres associations que celles liées à Panzi. Ainsi, “faire partie d’une Muso est une condition requise” pour être bénéficiaire de l’appui du projet Sécurité alimentaire et économique mené par Louvain Coopération, l’ONG de l’Université catholique de Louvain, avec des organisations locales, insiste Olivier Matumaini, le chef du projet. C’est le cas de Jeannette M’Nterranya, 43 ans, qui avait au départ rejoint une Muso du village de Businde, près de Kavumu, “parce qu’elle voulait être alphabétisée”. La mère de neuf enfants tenait depuis 2005 un petit commerce qui lui permettait juste de survivre. Elle produit et vend aujourd’hui de la farine de manioc, la base du foufou, plat chéri des locaux. C’est à la Muso qu’elle a été sollicitée par le Guichet d’économie locale du Sud-Kivu (Gel), qui lui a proposé une formation “pour organiser [s]es activités, sur les prix d’achat et de vente, documenter toutes [s]es opérations et à mettre en place des outils de gestion”. Fin 2018, elle a présenté son business plan à un concours, qu’elle a remporté, ainsi que la somme de 750 dollars. “J’ai investi dans des sacs de manioc et du manioc sur pied, ainsi que dans du matériel”, témoigne-t-elle, dans la cabane au sol blanchi par la farine qui sert d’entrepôt pour sa réserve, sa balance et son moulin. “Je travaille avec sept autres femmes. Nous mettons nos stocks ensemble et nous achetons en commun. Notre but est de développer notre commerce à d’autres produits.”Une preuve, amère, de son succès, est que son mari, parti depuis sept ans chercher fortune, a repris contact avec elle, après être resté sans donner de nouvelles depuis cinq ans.

Un toit qui protège

C’est également par le biais des Muso que sont identifiées les bénéficiaires de l’initiative “un toit pour les survivantes” de la Fondation Panzi menée avec l’appui de la Croix-Rouge luxembourgeoise. Depuis 2020, 107 maisons ont été construites sur l’axe Katana-Kavumu-Kalehe-Minova, à l’ouest du lac Kivu, et 100 maisons supplémentaires vont sortir de terre. La Fondation Panzi transmet aux comités des Muso les critères requis pour devenir bénéficiaire du programme : être membre d’une Muso ; survivante de violences sexuelles ou liées au genre ; présenter une vulnérabilité (être isolée, souffrir de pathologies gynécologiques, être porteuse du VIH, faire partie d’un peuple autochtone…) ; avoir entre 25 et 60 ans… Et, élément important, posséder un lopin de terre. “La bénéficiaire doit attester que la parcelle où elle réside est sa propriété en produisant un acte de vente ou de cession pour des raisons de sécurité, car, selon la législation congolaise, ‘celui qui construit chez autrui construit pour autrui’”, rappelle Marie-Grâce Kaboyi de la Fondation Panzi. Le projet implique les leaders communautaires pour attester de la propriété de la parcelle, aucune bénéficiaire ne pouvant payer les frais exorbitants de 600 dollars pour que l’État authentifie leur propriété.

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Les maisons en planches, avec un soubassement en moellons, sont construites sur les parcelles des survivantes, à la place des maisonnettes en paille ou torchis sans porte, ni fenêtre, avec une seule pièce. “Les maisons font 30 m2, ce qui permet de loger une famille comptant huit membres”, compte Albane Veuve, cheffe de mission en RDC de l’aide internationale de la Croix-Rouge luxembourgeoise. Elles comportent un salon, trois chambres, une douche et des latrines externes. L’organisation grand-ducale veut à présent intégrer au projet les jeunes femmes qui suivent la formation menuiserie de la Maison Dorcas, “pour qu’elles puissent fournir à l’entreprise de construction des portes et des fenêtres pour vingt des cent maisons. L’argent récolté avec la vente sera réinjecté dans les formations ou l’achat d’outils pour les bénéficiaires quand la formation sera terminée”… Ainsi se forment des cercles vertueux.

Tous les projets de réinsertion socio-économique ne débouchent pas sur un succès pérenne, mais ils permettent “à certaines femmes de retrouver leur place dans leur famille quand elles reviennent en position de force, avec la capacité de se prendre en charge plutôt que de dépendre de leur famille ou de se retrouver en position de mendicité”, se félicite Cathy Kirhero. “La communauté voit des femmes qui passent d’une situation de vulnérabilité à un certain niveau d’autonomie.”

Les membres de la mutuelle de solidarité de Rhucilangalire (“Nous comptons sur vous”) tiennent les comptes sur les hauteurs de Bukavu.

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