A la veille de la présidentielle, quel regard poser sur la Françafrique du président Macron ?
La France d’Emmanuel Macron fait la grimace sur la scène africaine. Le mésamour entre l’ancienne métropole et son pré carré du Sud n’est pas un phénomène imputable à l’actuel locataire de l’Élysée comme le décrit très bien le journaliste et ancien rédacteur en chef de la Lettre du Continent Frédéric Lejeal dans son dernier ouvrage Le déclin franco-africain (*). “On assiste d’année en année à un long dépérissement qu’aucun président français n’est parvenu à ralentir depuis pratiquement la période des indépendances”, explique-t-il et le phénomène donne même le sentiment d’aller en accélérant.
Incohérence politique
Les derniers mois ont ainsi vu les coups d’État se multiplier dans la “sphère d’influence” française, que ce soit au Tchad, au Mali ou au Burkina Faso. La Françafrique vit une période d’instabilité profonde. Rongée par la corruption de ses élites, minée par une grogne sociale sans réponse, lassée d’une relation incohérente avec Paris qui peut se montrer intransigeant sur le respect des droits fondamentaux avec certains et abandonner toutes valeurs pour rester aux côtés de certains dictateurs installés à vie dans un simulacre de démocratie qui ne peut pourtant tromper personne.
Le constat dépasse largement le “cas” Macron. Mais ces dernières années, le malaise n’a fait qu’aller en accélérant. La société civile africaine a évolué et elle n’attend plus grand-chose de Paris. Dans le même temps, la nouvelle génération qui s’est installée au pouvoir en France ne comprend pas (plus) l’Afrique qui, parfois, avance trop vite pour le regard qu’est prêt à lui concéder un vieux continent qui n’a peut-être jamais aussi bien mérité ce surnom.
“La France refuse de faire un vrai travail mémoriel. Ce qui est entrepris est pelliculaire, comme cette annonce de la restitution de 26œuvres à l’Afrique alors que, chez vous, en Belgique, on parle de milliers de pièces, idem en Allemagne. Ce manque de volonté attise encore le ressentiment anti-français. L’image de la France est en train de se dégrader complètement.”
Avec un sentiment d’une accélération soutenue de ce désamour que confirme Frédéric Lejeal en soulignant qu’il s’agit aussi “d’un désamour économique. Les positions de la France reculent de manière drastique. Même l’Allemagne est devenu le premier pays exportateur européen vers l’Afrique subsaharienne, alors que l’on sait que ses liens sont beaucoup plus ténus. On voit aussi le Royaume-Uni post-Brexit tenter une offensive vers le continent africain et de nombreux autres pays ne sont pas en reste. Dans ce contexte, on ne peut que constater que la France ne fait pas partie de ce mouvement. Elle n’a pas compris l’évolution de l’Afrique. Elle est demeurée sur des logiques de clientèle de rente qui remontent aux indépendances. Elle n’a pas su s’adapter. Si on ajoute à ce constat son double discours permanent qui prône la démocratie tout en soutenant des régimes extrêmement autoritaires, népotiques… Il y a donc dans l’opinion publique africaine une perte totale de repères à l’égard du message que la France envoie à l’Afrique.”
“Militarisme pathologique”
Face à ce ressentiment à l’égard de la position française, les images du soutien à Moscou, surtout au début de la guerre en Ukraine, ont choqué l’Europe. “Ces images de certaines populations prêtes à soutenir la Russie, sont des caricatures de ce désamour. Cela démontre surtout qu’il y a une forme de condescendance de la France et une politique que les jeunes générations d’Africains ne supportent plus, ils veulent vraiment un droit d’inventaire.”
La France est donc bousculée dans son rapport avec “son” Afrique mais “elle ne parvient pourtant pas à se remettre en cause, notamment sur le plan militaire. Il y a en France, jusqu’à aujourd’hui, un militarisme pathologique. Imaginez que depuis les indépendances, il y a eu plus de 60 opérations militaires extérieures, que ce soit pour imposer un chef d’État, le protéger ou le chasser. La France, jusqu’à ce jour, c’est le seul pays au monde qui quadrille militairement l’Afrique du nord au sud, de l’est à l’ouest. Un déploiement qui n’a plus lieu d’être pour la nouvelle génération africaine”. Jusqu’ici, le président Macron n’est pas parvenu à – n’a pas voulu – modifier cette donne. Entre la parole (plus d’ouverture, de collaboration, d’envie d’innovation… ) et les actes (statu quo, refus de se remettre en cause… ), le fossé n’a cessé de se creuser, comme le désamour entre les deux rives de la Méditerranée.
Hubert Leclercq
(*) Frédéric Lejeal : le déclin franco-africain. L’impossible rupture avec le pacte colonial, L’Harmattan, 457 pp. +/- 42 €, version digitale, 32,99 €.