La crise s’accentue entre le chef de l’État et l’assemblée législative, qu’il avait déjà suspendue l’été dernier.
La dissolution du Parlement décrétée mercredi soir par le président Kaïs Saïed accentue la crise politique en Tunisie. Elle marque a minima un nouveau crescendo dans le vigoureux bras de fer entre le chef de l’État et l’assemblée législative. Le président du Parlement, Rached Ghannouchi (dirigeant historique du parti d’inspiration islamiste Ennahda), n’a d’ailleurs pas manqué de rejeter cette dissolution qu’il considère “nulle et non avenue”, puisque la Constitution ne donne pas ce droit au Président – qui a suspendu de larges pans de celle-ci en fin d’année dernière.
L’Assemblée des représentants du peuple (ARP), l’unique chambre du Parlement tunisien, a bravé mercredi la suspension de ses activités, ordonnée l’été dernier par le Président pour, selon lui, contrecarrer la “menace imminente” qui planait sur les institutions de l’État. Cent vingt députés, soit plus de la moitié de l’assemblée (qui compte 217 sièges), se sont réunis par visioconférence pour tenter de reprendre les rênes dans cette séquence politique ouverte avec fracas par le Président le 25 juillet 2021. Ils ont voté à une écrasante majorité (116 sur 120) en faveur de l’annulation des dispositions présidentielles par lesquelles M. Saïed s’est emparé de l’essentiel des pouvoirs.
Selon l’assemblée, cet “état d’exception”, que le Président compte clore à la fin de cette année par l’organisation d’élections législatives, bloque le processus démocratique et menace de réinstaller un système autocratique. Les députés ont également appelé à des élections législatives mais aussi présidentielles, ainsi qu’à un dialogue national pour sortir de l’impasse politique.
Une décision “historique”
Le président de la République a répondu dans la foulée à cette session “illégale” par la dissolution de l’assemblée, déclarant avoir pris cette décision “historique” dans le but de protéger l’État, ses institutions et le peuple de la division.
La rapidité de réaction présidentielle laisse penser que le décret de dissolution du Parlement était déjà prêt, des velléités de réunion étant dans l’air depuis un bon moment. Mardi, le puissant syndicat UGTT avait d’ailleurs critiqué une telle session parlementaire au motif qu’elle était de nature à “entraîner le pays dans le conflit et la division politique”.
Sur initiative présidentielle, le ministre de la Justice a demandé au procureur général qu’une enquête judiciaire pour “conspiration contre la sécurité de l’État” soit ouverte à l’encontre des parlementaires impliqués. Ceux-ci sont accusés d’avoir mené un “coup d’État”, alors que le président de l’assemblée a encore accusé M. Saïed d’en mener un depuis plus de huit mois. Rival du chef de l’État, Rached Ghannouchi était absent de la séance parlementaire à distance, présidée par son vice-président, l’indépendant Tarek Fetiti.
Plus que tout, le Président entend garder le cap de ses réformes, menées pour faire table rase de la corruption et de la mauvaise gouvernance dans son pays. En décembre, il avait fixé un calendrier précis, qui prévoit un référendum en juillet prochain sur les amendements à apporter à la Constitution. Ceux-ci doivent émaner d’un travail issu de la consultation populaire qui vient de se terminer et qui n’a pas été un franc succès…