Fran Kourouma, la voix des migrants

Fran Kourouma, la voix des migrants

Le jeune Guinéen raconte dans “Notre soleil” son terrible périple pour rejoindre l’Europe.

Le théâtre a ceci d’extraordinaire que, art vivant par excellence, aucune émotion ne peut y être trahie. Lundi soir, aux Riches-Claires, le public a pu saisir toute la sincérité du récit qui lui était conté. Ce récit, c’est celui de Fran Kourouma, jeune Guinéen de 24 ans, qui a quitté sa terre natale en 2016 pour rejoindre l’ »Eldorado » européen.

Quelques minutes avant de monter sur scène, le comédien en herbe, d’apparence calme, sentait son cœur battre très fort : cinq ans plus tôt, aurait-il pu imaginer, alors qu’il était détenu au centre Fedasil du Petit Château, qu’il raconterait un jour son abominable périple devant un parterre de spectateurs, devenant la voix de toutes celles et ceux qui, au péril de leur vie, tentent, en traversant la Méditerranée, de trouver « le bonheur et la paix du cœur » ?

Son histoire, Fran Kourouma l’a d’abord couchée sur le papier. Enfermé au Petit Château dans l’attente qu’on statue sur sa demande d’asile, le jeune garçon, loin des siens, n’a pour seul compagnon que son téléphone. Alors, pour ne pas se laisser envahir par le désespoir, il décide de retracer son vécu : plus de 800 pages écrites sur son portable ! Son objectif ? Partager son périple avec le plus grand nombre et confronter les préjugés qu’ont les Européens à la réalité des migrants.

Grâce à plusieurs soutiens, dont la comédienne et metteuse en scène Sandra Raco, il retravaille ses notes et en extrait, en 2020, un ouvrage de 192 pages : Notre soleil (Samsa Éditions). Dans le même temps, Sandra Raco saisit l’importance et l’urgence de faire entendre ce témoignage puissant. Pas question toutefois de confier le rôle de Fran Kourouma à un comédien professionnel : ce sera lui, seul sur scène, maître de ses mots et souvenirs.

Une mise en scène efficace, sans artifices

Sur une plateforme surélevée, cinq fûts en tôle usée jonchent un sol sablonneux. Tout au long du récit, ils se feront siège de jeep ou pirogue de fortune. Une scénographie belle et simple, mais diablement efficace que l’on doit à Léa Gardin.

Jeune adulte, Fran Kourouma a décidé de fuir la Guinée. Sa mère (voix off de Babetida Sadjo) ne comprend pas son choix. Elle tente de le raisonner, mais rien n’y fait : son fils se jette sur la route de l’exil. « Un voyage catastrophique » qui l’emmènera, au travers du désert, jusqu’à Tripoli en Libye, porte d’accès à la Méditerranée, sésame vers l’Europe pour les uns, tombeau pour les autres. D’un incroyable charisme, Fran Kourouma est totalement habité par son vécu, sans jamais se laisser submerger par ses émotions. Tantôt il se glisse dans la peau des trafiquants de migrants tantôt il raconte la faim, la soif, les bastonnades, les humiliations, les viols, la peur, le découragement…, mais aussi la solidarité, l’espoir et la résilience. La mise en scène, efficace car sans artifices, de Sandra Raco joue habilement sur les déplacements assis ou debout, signifiant le statut des dominants et dominés. Témoignage dur et violent, mais nécessaire, Notre Soleil aide à mieux comprendre les envers sordides de la migration tout en nous réconciliant avec notre part d’humanité.

–> Bruxelles, Les Riches-Claires, jusqu’au 2 avril. Infos et rés. au 02.548.25.80 ou sur https://lesrichesclaires.be

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