Massinda Zinga : « À force de ne rien dire, les femmes noires, parfois, se sabotent »

Massinda Zinga : « À force de ne rien dire, les femmes noires, parfois, se sabotent »

Hip hop, battles, ateliers, conférence…, le 17e festival Lezarts urbains allie pratique des danses urbaines et mise en réflexion.

Faire découvrir, le temps d’un week-end, « un échantillon du riche paysage des arts issus des cultures street en Belgique ». Voilà la raison d’être du festival Lezarts urbains qui, pour sa 17e édition, ces 2 et 3 avril, s’associe une nouvelle fois au KVS. Au menu ? Des créations, techniques et styles de danses (hip hop, krump, house, popping, dancehall, danse contemporaine…) qui se déclineront tant en brefs shows chorégraphiques (scènes ouvertes, battles, cyphers…) qu’en spectacles aboutis, interprétés par des crews amateurs (Victory par Krump Belgium, Moment In Time par Be House, Stuntmen par la One Nation Crew 2.0, etc.) et des compagnies professionnelles (Oh Summer de Betty Mansion, Enter the BCU de la Barhal Cie, Face 2 du collectif Le Cube, Blind d’Hendrickx Ntela…). Particularité, le festival, d’habitude centré sur les danses urbaines, s’ouvre, cette année, au slam (avec l’artiste non-binaire Marie Darah, la poétesse Marie-Paule Mugeni et le colectif féministe Z&T) et au rap (Veridik). Sans oublier des DJ sets et jam.

Cent pour cent belge, le programme a été conçu « dans un souci d’inclusivité au niveau des styles artistiques ainsi que des messages et valeurs qu’il transmet ». Au-delà de leur performance, les artistes ont, en effet, à cœur de susciter la rencontre et la réflexion en prenant le pouls de notre société et en s’emparant des problématiques qui la traversent : le poids du passé colonial sur les femmes afro-descendantes, l’homosexualité dans le monde du hip hop, etc.

Deux ateliers en non-mixité

Véritable colonne vertébrale du festival, la programmation artistique est enrichie par l’organisation de plusieurs ateliers et d’une conférence (La culture, ça veut dire quoi ?) Parmi les workshops proposés, deux seront animés par Massinda Zinga : l’un, « destiné aux personnes blanches », a pour thème Blanchité et appropriation culturelle ; l’autre, à l’attention des « personnes non-blanches », est consacré à La guérison et l’empowerment.

Danseuse, chorégraphe, artiviste et entrepreneuse, Massinda Zinga est née à Bruxelles d’un père angolais et d’une mère martiniquaise. « Dans mon chemin de vie, j’ai toujours été en recherche identitaire, explique-t-elle. Mon papa est arrivé d’Angola très jeune en Belgique et était donc déraciné. Ma maman a, elle aussi, été déracinée parce qu’elle n’a pas connu sa famille antillaise : elle a grandi avec des grands-parents italiens. Quant à moi, mon parcours n’a pas toujours été évident parce qu’on me signifiait toujours ma différence ».

Très jeune, elle s’éprend de la danse (hip hop, house…), mais « la danse qui m’a attrapé le cœur, le corps et l’esprit, c’est le dancehall, issu de la culture jamaïcaine ». Désireuse de comprendre les fondements et codes de cette danse, elle effectue de nombreuses recherches (en France notamment), avant de s’envoler pour la Jamaïque. Un voyage qui lui permet de s’immerger dans la culture du pays, d’apprendre le dancehall « d’une autre manière » qu’en Europe et de « trouver des réponses » à ses « questions identitaires ». Puis, « j’ai compris qu’il y avait vraiment une différence dans la manière dont on approche les cultures afro-centrées en Europe en comparaison avec les pays dont elles sont originaires, poursuit Massinda Zinga. Par exemple, en Europe, on parle de « danses », ce qui fait référence à une expression du mouvement, du corps alors que dans les pays afro-caribéens, on parle de « cultures », terme qui recouvre plein d’autres choses. J’ai réalisé que si on approchait ces cultures comme on approche, en Europe, le ballet ou la danse contemporaine, on pourrait vite les dénaturer, se les approprier. Donc, je me suis dit qu’il fallait que je fasse attention à la façon dont je les transmets dans mes cours, etc. »

Des stéréotypes liés à l’histoire esclavagiste ou coloniale

Si la danse s’exprime par le mouvement, elle est bien plus que le reflet d’une dynamique corporelle et d’une technique gestuelle. Il y a aussi, et surtout, ce qui l’enracine et la façonne culturellement. Une dimension essentielle dans les danses afro-caribéennes. « Mais là aussi, je me suis rendu compte que dans la transmission culturelle de ces danses, on perpétuait beaucoup de stéréotypes, expose la chorégraphe. Des stéréotypes liés à une histoire esclavagiste ou coloniale, c’est-à-dire qu’un pouvoir dominant définit sa vision de ces cultures sans laisser de perspective à différents points de vue, ce qui est problématique ». Ainsi, « quand je parle du dancehall à des gens qui ne connaissent pas forcément cette danse, la première image qui leur vient en tête est celle de femmes noires hypersexualisées, raconte-t-elle. Or, si l’on replace le dancehall dans le contexte de l’histoire esclavagiste de la Jamaïque, il faut savoir que la Jamaïque était l’île caribéenne où il y avait le plus de rapts de femmes. Donc, cela a laissé des traumas. Et le dancehall exprime cette volonté des femmes de se libérer du joug esclavagiste ».

Dialoguer pour déconstruire les clichés

C’est dans cet esprit de recherche, d’enseignement, et de transmission des cultures et danses afro-caribéennes que Massinda Zinga a fondé en 2012 le mouvement MDF (Maïthé’s Dancehall Family), qui s’articule autour de deux axes : MDF-The Label, avec des ateliers, voyages en terres afro-caribéennes,… et MDF-The studio (cours de danse, lectures, conférences…). Convaincue que le dialogue est « la meilleure manière » pour déconstruire les clichés et faire prendre conscience de comportements – souvent inconscients – induisant une relation dominant-dominé, Massinda Zinga s’est rendu compte, au cours d’échanges qu’elle animait, que « parfois, il faut des moments en non-mixité pour que chacun puisse déposer son ressenti », car ces échanges peuvent être « difficiles et éprouvants » à entendre, que ce soit pour les personnes de couleur ou blanches. « Le but de ces moments en non-mixité est de parvenir à un langage commun pour que, quand on se retrouve en communauté mixte, chacun soit beaucoup plus safe avec les autres »

Forte de son expérience personnelle, elle complète : « Chez les personnes non-blanches, il y a des communautés qui n’ont pas les clés pour réagir à des actes racistes. Donc, la plupart du temps, ça passe sous silence. Mais, au fil des années, ça crée des traumas qui se logent, souvent inconsciemment, dans le corps de ces personnes. L’idée est, avec une communauté qui vit les mêmes discriminations, de pouvoir déposer des expériences qui peuvent être similaires, comprendre d’où elles viennent, trouver des outils pour les affronter et, surtout, faire en sorte qu’elles ne restent pas ancrées dans le corps ». À cette fin, elle a créé le collectif de femmes afro-descendantes Sisterhood (dont la création Unmuted sera en tête d’affiche du festival le 2 avril). « Leur particularité est qu’elles souffrent toutes d’un grand manque de confiance en elles, d’une difficulté à prendre leur place dans l’espace et à faire sortir leurs émotions, témoigne encore Massinda Zinga. Mais il faut aussi reconnaître qu’à force de ne rien dire, nous, les femmes de couleur, nous avons accepté et, parfois, nous nous sabotons nous-mêmes. D’où l’importance de réaliser ce travail de dialogue tous ensemble ».

–>Bruxelles, KVS, les 2 et 3 avril. Infos et rés. au 02.210.11.00 ou sur www.kvs.be et www.lezarts-urbains.be

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