Artistes et chercheurs sont venus (re)tisser les liens africains aux Ateliers de la pensée

Artistes et chercheurs sont venus (re)tisser les liens africains aux Ateliers de la pensée

Ce soir, à Dakar, place à la Nuit de la pensée qui va clore en beauté la quatrième édition des Ateliers de la Pensée, rencontres pleines d’érudition et d’émotions portées par des chercheurs, écrivains, professeurs et artistes venus de toute l’Afrique et des diasporas pour penser le futur du continent…

L’auditorium de 120 places est plein à craquer. Des chaises ont été ajoutées sur le côté et les marches sont occupées jusqu’au dernier rang ainsi que les bas-côtés de la scène. Dans le couloir qui longe l’auditorium d’autres chaises, une vingtaine en tout, ont été rajoutées face à un grand écran afin d’essayer de contenter les derniers arrivants. Le rendez-vous est fixé tous les matins à 9h30 au cœur du Musée des Civilisations noires de Dakar qui accueille cette quatrième édition des Ateliers de la pensée créés par Felwine Sarr et Achille Mbembe.

Face à l’estrade qui accueille trois conférences chaque jour, le silence est quasi religieux. Au fil des trois ou quatre interventions qui rythment chaque panel sur une thématique donnée (14 thèmes en 4 jours), quelques rires fusent, voire quelques exclamations ou applaudissements lorsque la session est chargée en émotions. Au fil de ces quatre jours, il a été question de l’épuisement des ressources, de la réparation de la mémoire, de littérature et de langage commun, de panafricanisme, de l’art comme moyen de résistance, de liens aux ancêtres, de mémoire à retisser, de défis écologiques à relever et d’absence ou de présence de frontières… Autant de thèmes abordés par des hommes et des femmes universitaires, chercheurs, enseignants ou créateurs habitant ou travaillant sur le continent africain. Face à un public où prédominent les étudiants, chercheurs, créateurs et programmateurs culturels.

Un large faisceau de connaissances

L’objectif des Ateliers de la pensée est double : mettre en lumière un faisceau de connaissances, mais aussi susciter des rencontres humaines étonnantes qui permettent de s’inspirer mutuellement et de « collaborer pour agir ». Depuis leur première édition en 2016, la volonté n’a pas changé : élaborer une pensée et nourrir un imaginaire qui ne soit pas européano-centré et qui soit dénué de toute empreinte coloniale sur le langage ou les savoirs. Face aux défis universels et planétaires, il s’agit de définir des solutions ou des chemins de réflexion qui tiennent compte de l’expérience et de la singularité africaine.

La grande force des Ateliers de la pensée est de parvenir à rassembler durant quatre jours quelques-uns de ceux qui ont décidé de faire de l’Afrique leur terrain de recherche et de réflexion, leur source d’inspiration et de création. Face à l’assemblée, oscillant des teintes les plus claires aux peaux les plus foncées, les discours sont érudits et inspirants. Parfois, pourtant, le vernis craque et l’orateur redevient cet artiste, ce poète ou cet écrivain touché par ce voyage sur le continent-père où, pour la première fois, parfois, sa voix est portée publiquement. Ce fut le cas de Dénètem Touam Bona, professeur de philosophie et anthropologue mahorais, auteur entre autres de Fugitif, où cours-tu ?

La force des artistes et des écrivains

Jeudi matin, la rencontre littéraire entre Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021, Wilfried N’Sonde, formidable maître de la fiction depuis sa prime enfance, David Diop, auteur de Frère d’âme et Alexandre Gefen, critique littéraire et chercheur universitaire français, a produit les étincelles espérées. La veille, la discussion de l’après-midi s’était révélée plus tendue sur la notion de frontières et des utopies sociales, politiques et écologiques entre la professeure Mame Fatou Niang, l’écrivain Sami Tchak, mais surtout entre l’historien Achille Mbembe et l’économiste burkinabé Seydou Ra-Sablga.

La beauté des Ateliers réside dans le fait de parvenir à faire se rencontrer autant de personnalités et de pensées différentes et le plus souvent à les faire converger. À réussir à marier économie, politique, écologie, sociologie, anthropologie mais aussi littérature, musique et danse au sein de discussions parfois enflammées ponctuées, chaque jour, d’une proposition culturelle qui ajoute son éclairage singulier sur l’éventail des réflexions entamées.

Face à la vulnérabilité du monde, démontrée tant par la crise sanitaire récente que par la crise écologique, déjà particulièrement sensible en Afrique, « il importe d’apprendre à penser avec des outils nouveaux », ont rappelé en préambule Felwine Sarr et Achille Mbembe, initiateurs de ces rencontres. « Il est nécessaire de remettre la pensée au cœur de nos vies » mais pas n’importe quelle pensée: une réflexion « produite par et pour l’Afrique ».

En découvrant tous ces talents et ces savoirs réunis, on est parfois pris de vertige – l’envolée des intitulés des différentes sessions n’est sans doute pas étrangère à ce phénomène… – car la diversité des experts venus de toute l’Afrique, de l’Europe et même des outre-mer offre clairement matière à s’enthousiasmer. Une telle mine de talents ne peut rester inexploitée.

Un savoir produit par et pour les Africains

Portée par des voix venues du Bénin, du Burkina Faso, du Burundi, du Cameroun, de Centrafrique, de RDC, du Rwanda, du Sénégal et du Togo ainsi que de différentes diasporas (Bruxelles, Londres, Paris,…) et de deux contributrices venues d’Amérique latine (Argentine et Brésil), cette 4e édition (du 23 au 26 mars) ne manque ni de poésie – avec les prestations du Congolais Faustin Linyekula (photo) ou de la plasticienne nigériane Otobong Nkanza – ni d’érudition.

S’il est passionnant de voir autant de cerveaux rassemblés autour de cet objectif commun – prêts à échanger savoirs et pistes de réflexion ou à défendre vigoureusement leurs opinions -, on ne peut qu’espérer que la transmission vers les jeunes générations d’Afrique sera l’une des préoccupations majeures des Ateliers*. Puisque l’idée de ces rencontres est de « reprendre la parole depuis l’Afrique et de reprendre l’initiative de la pensée », il importe de préparer au mieux les générations futures à y prendre leur part. Pour que les étincelles continuent à jaillir.

Le feu d’artifice final reste à venir avec La Nuit de la pensée qui débute à 19h30 ce samedi à Dakar. Au programme, notamment: l’écrivain Gaston-Paul Effa, la danseuse et chorégraphe Germaine Acogny, le musicien Ray Lema et le chanteur Baaba Maal…

Karin Tshidimba, à Dakar

*La plupart des sessions et débats sont retransmis en direct via YouTube et peuvent d’ailleurs encore être visionnés en ligne.

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