Opinions Par Max-Olivier Cahen, spécialiste de l’Afrique et auteur d’un mémoire intitulé « Stratégie d’Expansion et d’Hégémonie de l’intégrisme islamique en Afrique Sub-Saharienne »
Les 17 et 18 février dernier, se déroulait à Bruxelles le 6e Sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine affichant la noble ambition de redéfinir et relancer le partenariat Europe-Afrique et «de construire un future commun mutuellement bénéfique », selon l’actuel Président du Conseil européen Emmanuel Macron.
Vœux pieux occultés par 3 événements majeurs:
- la crise ukrainienne suivie de l’invasion par la Russie ;
- L’instabilité croissante de l’Afrique de l’Ouest , « criblée » de nombre de coups d’États couplée au retrait de l’opération Barkhane et de la mission européenne Tabuka du Mali .
- La menace islamiste dans le reste de l’Afrique et sa progression constante en Afrique de l’est et en Afrique australe.
Certains experts diront que géopolitiquement, ces 3 faits n’ont pas le même impact pour l’avenir de l’Europe.
Lourde erreur ! L’avenir de l’Europe se joue tant en Afrique qu’en Europe, le fascisme islamique n’a rien à envié au fascisme impérialiste de Poutine.
En 1996, dans mon mémoire pour ma maîtrise de Sciences Politiques au CHEAM (Centre des Hautes Etudes de l’Afrique et l’Asie Moderne) intitulé « Stratégie d’Expansion et d’Hégémonie de l’intégrisme islamique en Afrique Sub-Saharienne», j’y décrivais l’installation progressive de groupes djihadistes en Tanzanie, au Kenya, en Ouganda, dans le Nord-est du Congo (à l’époque Zaïre) et dans le Sahel.
26 ans plus tard, force est de constater que l’arc de violence djihadiste pour installer un califat en Afrique n’a cessé de progresser et de déstabiliser l’ensemble des États africains de l’ouest, en passant par la corne de l’Afrique, l’Afrique de l’Est et ce jusqu’en Afrique australe ce qui constitue une nouvelle donne depuis ces 5 dernières années.
Le ventre mou de l’Afrique
Au Sahel, le retrait du Mali de Barkhane et de la force européenne de Tabuka pour se positionner au Niger, laisse le champ libre aux groupes djihadistes.
Dès lors, d’une manière ou d’une autre, Bamako tombera par les armes ou par un accord négocié avec les groupes djihadistes. Ouvrant ainsi la voie à des bases arrières pour les groupes islamiques intégristes et mettant forcément en danger toutes les opérations de sécurisation de la région.
L’ensemble du Sahel et des pays limitrophes côtiers, comme le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Ghana, le Togo et le Cameroun, ce dernier déjà gangrené par Boko Haram, sont des États incapables de faire face à l’intégrisme islamique, ils constituent donc « le ventre mou » de l’Afrique .
L’oeil du cyclone congolais
La pénétration des groupes islamistes intégristes en Afrique de l’Est, tout d’abord sous l’influence des Al Shabab de Somalie puis de manière autonome se constituant en ADF (Allied Democratic Forces), affilié à l’Etat islamique et basé en République démocratique du Congo, bien qu’originaire d’Ouganda, ne constitue pas une surprise.
Les ADF multiplient leurs infiltrations et attaques dans la sous-région et particulièrement au Nord-Est de la RDC, dans les provinces du Kivu, de l’Ituri et plus particulièrement dans la ville de Beni.
Ces ADF profitent, comme au Sahel, de l’absence de l’État dans des régions spécifiques.
La déliquescence de l’État congolais dans cette région et son incapacité à garantir un minimum de sécurité aux populations, malgré un état de siège permanent, offrent aux ADF un boulevard leur permettant de s’implanter au Congo et dans les pays limitrophes.
Le Nord Est du Kivu ou pullulent plus de 150 différents groupes rebelles et qui subit les intrusions permanentes, officielles ou non, des forces armées rwandaises, ougandaises et burundaises exerçant un droit de poursuite sans limites devient une zone de non-droit, base arrière de l’Islam intégriste essaimant dans l’ensemble des sous-régions.
Le Zimbabwe, dernier rempart contre le Califat islamiste
Du Sahel, à la Corne de l’Afrique en passant par l’Afrique de l’Est, on assiste donc à un véritable jeu de dominos islamistes qui contamine l’entièreté de l’Afrique australe.
Depuis maintenant 5 ans, dans la province du Cabo Delgado, la plus pauvre et la plus négligée du Mozambique, un groupe djihadiste, Ansar Al -Sunnah, se livre à une guérilla de conquête incessante.
Guérilla à ce point efficace qu’elle a mis en danger et à l’arrêt le projet gazier de 20 milliards d’euros du Groupe Total, infligé au groupe Wagner, les mercenaires de Poutine, de lourdes pertes (suite à quoi ils ont quitté le Mozambique) et tenu en échec le groupe de sécurité privé Sud-africain Dyck.
Face à cette situation, la SADC (South African Development Community) a mis sur pied en juillet 2021 la SAMIM, force d’intervention regroupant 8 de ses États membres pour tenter de mettre en œuvre une riposte régionale face à cette menace djihadiste.
L’Afrique du Sud étant le premier et principal fournisseur en hommes avec 1485 hommes suivi par le Zimbabwe (304 hommes – principalement des instructeurs qui forment des bataillons mozambicains) puis le Botswana (296 hommes). Les autres contingents comme le Lesotho ou la RDC sont de taille symbolique et l’impact qu’ils ont sur la conduite des opérations est minime.
Le mandat de la SAMIM a été renouvelé en janvier 2022 sans moyens supplémentaires ni renforts de matériels ce qui l’empêche de pouvoir mener des opérations réellement efficaces.
Parallèlement, via des accords bilatéraux et le soutien du Groupe Total, le Rwanda a envoyé un corps expéditionnaire de plus de 2.000 hommes sous la direction du Général Kabandana qui a repris les principales villes du Cabo Delgado (Mocimboa da Praia et Mbau).
Cependant, la force d’intervention rwandaise en soutien de l’armée mozambicaine ne coordonne aucune de ses opérations avec la SAMIM, permettant ainsi aux djihadistes de se regrouper et d’attaquer sur d’autres fronts.
Actuellement, le groupe Ansar Al -Sunnah multiplie les attaques sur l’ensemble du territoire mozambicain, dans les provinces de Niassa à l’ouest et Nampula au sud du Cabo Delgado et progresse à nouveau. Seul le bataillon formé par les Forces Armées Zimbabwéennes a permis de stopper leur progression. Alors que les soldats sud-africains ont dû battre en retraite.
Les plus récents rapports font état de la jonction et de coopération régulière entre les combattants ADF et ceux de Ansar Al-Sunnah et de leur infiltration en Tanzanie et dans les États voisins.
Un rapport du 24 février 2022 intitulé « Insurgency, illicit markets and corruption – the Cabo Delgado conflict and its regional implications » publié conjointement par la Hanns Seidel Foundation et l’ONG Global Initiative Against Transnational Crime confirme la progression des djihadistes et leur dissémination dans les pays voisins (Tanzanie, Zambie et même Afrique du Sud) mais également le recrutement de combattants dans l’ensemble des pays de la sous-région.
Malgré le fait que l ’Union européenne, consciente du danger, a mis sur pied une mission militaire de soutien au Mozambique (EUTM Mozambique) doté d’un budget de 15 millions d’euros sur deux ans plus un apport de 40 millions d’euros via le FEP (mécanisme de facilité européen pour la paix) pour épauler l’armée mozambicaine, il n’y a aucun doute que la SAMIM, le corps expéditionnaire rwandais et l’armée mozambicaine sont en échec face à Ansar Al-Sunnah.
Dans cette perspective, l’Union européenne de même que les États-Unis, qui ont récemment repris langue avec le Mozambique en nommant comme Ambassadeur Peter Vrooman, précédemment en poste à Kigali, n’ont pas d’autres choix que de s’adresser au seul pays qui depuis le début à marqué sa volonté de s’impliquer totalement dans la lutte contre le djihadisme islamique, le Zimbabwe et son Président Emmerson Mnangagwa.
Depuis la mise en place de LA SAMIM, le Président Mnangagwa a affirmé sa volonté d’éradiquer le fléau islamiste. La contribution du Zimbabwe à la formation des soldats mozambicains démontre leur efficacité au vu des combats dans la province de Nampula .
Tant le Mozambique que ses partenaires au sein de l’Union africaine souhaitent que le Zimbabwe prenne le leadership dans la lutte contre Ansar Al-Shunna. Pour preuve l’élection de celui-ci au Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA et le récent plaidoyer du Président mozambicain auprès de l’UE pour que les dernières sanctions à l’encontre du Zimbabwe soient levées.
Le Président Mnangagwa dans ses déclarations récentes a reconnu que les djihadistes du Cabo Delgado, par leur volonté d’imposer un califat, mettaient en danger toute la sous-région.
Il a réitéré aux instances européennes lors du Sommet EU-UA sa volonté de combattre l’islamisme intégriste en Afrique australe et d’être le premier partenaire de l’UE dans ce combat tout en plaidant la nécessité de lever les dernières sanctions qui frappent son pays. Cette levée des sanctions doit permettre au Zimbabwe de renouveler son armement pour combattre les terroristes issus non seulement du Cabo Delgado mais aussi de la Somalie, de la Tanzanie, de la RDC et même du Moyen-Orient.
L’Union européenne et son Haut Représentant pour les Affaires étrangères et de la politique de sécurité Josep Borrell, ont bien compris le défi en cours en Afrique australe.
Un premier geste clair de soutien a été posé en retirant de manière définitive les dernières personnalités politiques zimbabwéennes de la liste des personnes sanctionnées et en initiant un dialogue politique urgent avec Harare dans l’optique de lever les dernières sanctions.
Le Zimbabwe peut compter sur une armée aguerrie par son expérience au combat et aux méthodes de guérilla, considérée par de nombreux experts comme une des 3 meilleures armées d’Afrique avec le Rwanda et l’Angola.
Mais ce combat ne pourra se faire qu’en partenariat avec les États de la SADEC qui souhaitent réellement s’engager comme la Tanzanie, l’Afrique du Sud et le Botswana et avec le soutien de partenaires extérieures comme l’Union européenne.
Le risque de déstabilisation de l’ensemble de la corne de l’Afrique, de l’Est africain et de l’Afrique australe est réel ! Le Zimbabwe et le Président Mnangagwa sont nos meilleurs alliés pour éviter le basculement de l’Afrique australe dans le giron de l’islam intégriste, il est temps de le reconnaître et d’agir en conséquence.
Dans cette optique, l’Europe doit cesser sa politique de deux poids, deux mesures faisant preuve de laxisme à l’égard de régimes comme le Tchad, le Burundi et le Rwanda où les droits de l’homme et la liberté d’expression de l’opposition sont bafoués, tout en maintenant ses sanctions devenues contre-productives sur le Zimbabwe.