RDC : Blocage belgo-belge dans le dossier Lumumba

RDC : Blocage belgo-belge dans le dossier Lumumba

Au centre de ce conflit, des témoignages recueillis à huis-clos par la commission parlementaire en 2001.

« Cela fait plus de 60 ans maintenant que notre famille attend de savoir la vérité sur la mort de notre père”, explique François Lumumba, de passage ce mercredi 23 février dans notre capitale pour une audience à huis clos devant la chambre des mises en accusation de Bruxelles.

Patrice Emery Lumumba, premier Premier ministre du Congo indépendant, a été assassiné le 17 janvier 1961 près d’Elisabethville (Actuelle Lubumbashi – Haut Katanga). En novembre 2001, le rapport de la commission d’enquête parlementaire belge consacrée à l’assassinat de Patrice Lumumba et deux de ses partisans, Maurice Mpolo et Joseph Okito, qui a entendu une trentaine de témoins et s’est fait assister de quatre experts indépendants, a conclu à la “responsabilité morale” de notre pays dans ces exécutions menées par des gendarmes katangais. Le rapport relève par ailleurs qu’à l’époque des faits, la diplomatie belge a menti pendant des semaines à ses alliés, en niant avoir eu connaissance des informations relatives à cet assassinat.

Dix ans plus tard, en 2011, François Lumumba, le fils aîné du leader politique, président du Mouvement national congolais (MNC), a déposé une plainte au pénal contre une douzaine de personnalités belges pour leur rôle présumé dans le cadre de cet assassinat.

Le 18 janvier dernier, le juge d’instruction saisi de ce dossier a décerné un mandat de perquisition pour tenter de se faire remettre les pièces des travaux de la commission d’enquête conservés dans les archives du parlement. Juge et policiers qui se sont rendus au Parlement sont rentrés bredouille, la présidente de la Chambre, la socialiste Éliane Tillieux, a refusé de répondre favorablement à cette demande, l’ensemble des documents a été placé sous scellés au Parlement.

Séparation des pouvoirs

Au cœur de ce refus, les documents concernant les témoignages recueillis à huis clos par la commission d’enquête. “L’enjeu est fondamental parce qu’on parle de l’accès à des archives d’État pour des faits vieux de plus de 60 ans”, explique Me Christophe Marchand, l’avocat de François Lumumba. Son client explique, lui, qu’il en appelle “à la vérité, rien que la vérité” avant d’ajouter “peut-être qu’ils ne sont pas prêts à dévoiler toute cette vérité” et “Depuis 1961, aucun gouvernement n’a recherché la vérité. On a installé l’impunité”.

Du côté de la Chambre des Représentants, la présidente Éliane Tillieux (PS) se retranche derrière la loi. “J’ignore le fond de ces archives. Ce que je sais, c’est que je ne peux légalement pas mettre tous les documents à la disposition de la justice.” La socialiste explique qu’il y a eu des échanges avec le juge, qu’une liste de documents accessibles a été transmise “mais je ne peux pas donner accès aux témoignages qui ont été recueillis à huis clos. J’ai interrogé des constitutionnalistes qui m’ont confirmé cet interdit”. La loi sur les enquêtes parlementaires du 3 mai 1880 prévoit en effet que “Les membres de la Chambre sont tenus au secret en ce qui concerne les informations recueillies à l’occasion des réunions non publiques de la commission” elle prévoit encore que “La commission peut lever l’obligation de secret sauf si elle s’est expressément engagée à le préserver”. Seule la commission Lumumba pourrait donc lever le secret qui entoure ses témoignages à huis clos. Souci, cette commission Lumumba a été dissoute en 2002.

Ces témoignages sont-ils scellés à jamais ? “Non, mais pour pouvoir donner accès à ces pièces, il faudrait changer la loi mais ce n’est pas à l’ordre du jour et les parlementaires y sont plutôt opposés”, explique Mme Tillieux. “il n’y a aucune intention de faire de la rétention d’information, mais je dois protéger les règles de fonctionnement de l’institution, c’est plus qu’une question de principe, il y va de la crédibilité de la Chambre.”

Les témoignages recueillis sous le sceau du secret en 2000-2001 devraient donc rester bien au chaud dans les caisses scellées du Parlement pour un certain temps encore.

La chambre des mises doit se replonger dans le dossier Lumumba le 23 mars prochain et devra décider alors si elle veut entendre la présidente de la Chambre qui devrait justifier son refus de donner accès aux documents.

Du temps perdu”, annonce Me Marchand. “Mme Tillieux ne fera que répéter sa position et la vérité sera encore enterrée. C’est un manque de respect vis-à-vis de la famille et de l’histoire”.

Les deux logiques paraissent peu conciliables. “Nous, on demande simplement à faire notre deuil. La vérité ne concerne pas que notre famille. Aujourd’hui encore le nom de mon père est un symbole puissant pour toute l’Afrique mais j’ai l’impression que nous devrons encore nous montrer patients pour connaître toute la vérité”, termine, amer, François Lumumba.

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