Rencontre exclusive avec le président Emmerson Mnangagwa.
Le président zimbabwéen est devenu une des armes anti-djihadistes en Afrique australe.
Le soleil est déjà bien installé dans le ciel de Harare, la capitale zimbabwéenne, ce lundi 14 février sur le coup de 9 heures du matin. Emmerson Mnangagwa, le président du pays, est ponctuel. “Les journées sont toujours longues. Si on prend déjà du retard maintenant, ce sera catastrophique”, sourit-il en s’installant dans le siège qu’il a fait installer dans le jardin du palais présidentiel. “Il fait bon, autant en profiter avant que vous rentriez dans votre hiver”, s’amuse-t-il.
Malgré ce ciel bleu, l’homme n’a pas oublié son éternelle écharpe multicolore. “Ce sont les couleurs de notre drapeau, explique-t-il en invitant un membre du protocole à déployer l’étendard qui est derrière lui et qui attend vainement que le vent vienne lui donner plus fière allure. “Sans oublier l’oiseau Zimbabwe, qui est une de nos grandes fiertés”, poursuit le président en montrant les deux aigles qui ont fait leur nid aux extrémités de son écharpe. Cet oiseau, qui serait inspiré de l’aigle bateleur des savanes, fait partie de l’histoire du pays. Des représentations de cet aigle étaient déjà sculptées sur les murs d’enceinte de l’empire du Zimbabwe qui remonteraient au XIIe siècle. “Nous devons être fiers de nos couleurs, de notre passé et de notre culture plusieurs fois centenaire”, poursuit le Président qui va allègrement sur ses 80 ans, “dont près de soixante années d’engagement pour le pays”, poursuit-il.
Instabilité
Ce mercredi, le président zimbabwéen posera ses bagages pour 48 heures à Bruxelles, le temps d’un sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine. Le sixième du genre, plusieurs fois reporté à cause de la pandémie de Covid-19. Un sommet où l’instabilité en Afrique de l’Ouest, marquée par plusieurs coups d’État et le divorce annoncé entre Paris et Bamako, devraient être les invités de marque. La menace islamiste ne devrait pas être oubliée et, elle, ne se circonscrit pas à cette façade occidentale du continent africain. Elle est plus générale, elle touche aussi l’Afrique centrale (avec notamment les ADF en République démocratique du Congo) et australe (avec le mouvement Ansar al-Sunnah au Mozambique).
Un conflit que connaît bien le président Mnangagwa pour en être devenu presque malgré lui un des acteurs majeurs.
“Le Mozambique est membre de la Sadec (la communauté de développement des États d’Afrique australe) et quand un de nos membres est agressé, il peut faire appel à notre solidarité”, explique le Zimbabwéen qui a mobilisé un contingent de 304 militaires et policiers, le second en nombre derrière les Sud-Africains mais le plus plébiscité pour son efficacité. “Nous avons de bonnes compétences et tout le monde le reconnaît”, poursuit-il en rappelant notamment que son pays vient d’être élu au sein du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, l’organe décisionnel permanent de cette instance pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. “Et ce n’est pas une première. C’est important pour nous de nous dire que nous avons été rappelés. Cela démontre que les autres États africains nous font confiance.”
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Pas de contagion mais d’autres menaces
Pour le président zimbabwéen, l’instabilité actuelle en Afrique de l’Ouest ne devrait pas impacter son pays ou sa région “mais cela ne veut pas dire que nous n’avons pas nos soucis et nos risques d’instabilité”, dit-il en pointant la situation chez son voisin mozambicain dont la région du Cabo Delgado, frontalière avec la Tanzanie, est frappée par une insurrection islamiste depuis près de cinq ans.
“C’est une autre forme de terrorisme que celle qui frappe l’Afrique du Nord et de l’Ouest”, continue Emmerson Mnangagwa, qui s’est rendu dans la capitale du Mozambique en fin de semaine dernière pour s’entretenir avec son homologue, le président Nyusi.
“Il apparaît clairement que les objectifs de ces djihadistes ne se limitent pas au Cabo Delgado. Selon divers témoignages recueillis auprès de djihadistes qui ont été faits prisonniers, c’est l’ensemble de l’Afrique australe qui est au cœur de leur projet. Ces fondamentalistes veulent installer un califat dans toute l’Afrique australe. Nous sommes évidemment déterminés à tout faire pour empêcher ce mouvement, pour mettre fin à cette aventure meurtrière qui a déjà fait trop de morts.”
Face à cette menace, le président Nyusi a mobilisé la solidarité des pays de la Sadec mais n’a pas hésité non plus à appeler à la rescousse le Rwanda, non-membre de l’association de l’Afrique australe. “C’est son droit. Le Mozambique est un État souverain qui prend toutes les mesures qu’il juge nécessaires pour le bien des siens. On n’a pas de souci avec cette approche”, explique sereinement celui qui est souvent surnommé le “Crocodile”, “un surnom qui remonte à plus de cinquante ans au moment de la lutte contre le colonisateur britannique dans les années 1960”.
“Éradiquer ce fléau”
Face à ce péril fondamentaliste, le discours se veut résolument musclé. “Nous voulons éradiquer ce fléau. Nous, les Zimbabwéens, nous sommes déterminés à tout faire pour atteindre cet objectif avec le soutien des autres États de la Sadec. Mais nous sommes freinés par les sanctions internationales qui nous frappent. Ce sont des sanctions qui datent de 2002 et qui nous empêchent notamment aujourd’hui, dans le cadre de ce conflit, de moderniser notre armement. Or, c’est devenu essentiel dans la lutte contre ces terroristes qui ne sont pas seulement issus de la région du Cabo Delgado mais aussi de Tanzanie, de Somalie, de la République démocratique du Congo ou même du Moyen-Orient. Face à cette menace internationale, il faut nous donner les moyens de lutter”, continue, déterminé, le président Mnangagwa qui se présente comme “une arme” contre cette menace djihadiste qui “a toujours des accents expansionnistes”.
L’Union européenne, de son côté, s’est dit prête “à revoir l’ensemble de ses différentes mesures à tout moment, si cela se justifie, en fonction de l’évolution de la situation dans le pays”. Une déclaration encourageante qui se traduit aussi dans les coulisses européennes en termes de voix en faveur de la levée de ces sanctions contre le Zimbabwe. En novembre dernier, 15 États membres de l’Union étaient en faveur de ces sanctions. Le rôle-clé de Harare, non seulement face aux positions djihadistes mais aussi dans la formation des forces mozambicaines commence à changer la grille de lecture. Désormais, seuls deux États membres de l’Union européenne se montrent réticents à la levée de ces sanctions. Le Zimbabwe bénéficie aussi du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Entre les deux capitales, depuis l’accession à l’indépendance, le torchon a régulièrement brûlé et encore aujourd’hui, d’éminents membres de la chambre des Lords britannique se montrent terriblement hostiles au pouvoir en place à Harare.
“Je pense qu’il est évident que notre action au Cabo Delgado nous aide dans la perspective, que nous souhaitons rapide, de la levée des sanctions”, continue le président. Un chef d’État qui est aussi lancé dans son pays dans la campagne électorale pour les élections prévues en 2023. Mnangagwa, malgré ses 79ans, est candidat à un nouveau mandat. “Nous allons gagner ce scrutin”, prévient-il.
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Il faut dire que son parti, le Zanu-PF, règne sans partage sur le pays depuis l’indépendance. Mnangagwa, élu de justesse en 2018, termine son premier mandat, il a succédé au “vieux” Robert Mugabe renversé en 2017. La fin de l’ère Mugabe a fait apparaître de fortes lésions au sein du parti au pouvoir, de quoi laisser entrevoir l’émergence de voix contestataires au sein du parti lors de ces présidentielles. “Je suis candidat et nous allons gagner largement ces élections”, se contente de répéter le président, qui ajoute “le Zanu-PF est un parti démocratique, si d’autres candidats veulent se présenter, ils peuvent le faire”.
Réformes agraires encourageantes
Mnangagwa sait que la situation économique de son pays est difficile mais il sait aussi que ses premières réformes agraires, notamment sur une redistribution des terres non exploitées, commencent à porter leurs fruits. Les récoltes de 2020 et 2021 ont enregistré d’excellents résultats et les perspectives pour 2022 sont excellentes. Des statistiques économiques encourageantes qui, si elles devaient s’associer à la levée des sanctions européennes, donneraient un solide adjuvant à la campagne du Crocodile. L’homme, roué au jeu politique, le sait très bien. Sa réélection se joue aussi un tout petit peu à Bruxelles.