La Sadec (communauté des Etats de l’Afrique australe) a confirmé ce 12 janvier le maintien de la SAMIM, la force d’intervention, qui mobilise huit de ses Etats membres, pour aider le Mozambique à lutter contre la rébellion djihadiste qui dure depuis plus de 4 ans (depuis octobre 2017) dans le nord du pays, dans la province de Cabo Delgado.
Cette offensive a déjà fait plus de 2800 morts et jeté plus de 670 000 civils sur les routes de l’exode. Pour la prolongation de cette mission, confirmée par le président sud-africain Cyril Ramaphosa lors du sommet de la Sadec au Malawi le 12 janvier, pas de calendrier et pas d’annonce non plus des éventuels moyens humains ou matériels supplémentaires fournis par les pays membres de cette alliance alors que les experts militaires et les troupes envoyées sur place (le plus souvent les forces spéciales) considèrent ces investissements comme essentiels pour tenter d’en finir avec cette insurrection islamiste qui frappe la région de Cabo Delgado au nord du Mozambique et qui menace aujourd’hui le sud de la Tanzanie voisine.
Depuis le déploiement de la SAMIN et des bataillons rwandais, les troupes nationales ont repris du terrain mais les rebelles se sont scindés en petits groupes et ont pris le maquis, ce qui rend encore plus difficile les combats.
Intérêts européens
La situation au Mozambique ne laisse pas de marbre l’Union européenne. Parmi les plus sensibilisés, on retrouve le Portugal, pour se liens « historiques » et parce que Lisbonne tente de reprendre pied sur le continent africain, mais aussi la France, qui vient de prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne avec un président en piste pour sa réélection et dont un des fleurons industriels, Total, a lancé un investissement de 20 milliards d’euros dan un projet gazier au Cabo Delgado menacé par les offensives des djihadistes mozambicains affiliés à l’État islamique.
Pour aider le gouvernement mozambicain, l’UE a lancé une mission militaire de formation (EUTM Mozambique) dont le coût est évalué à un peu plus de 15 millions d’euros pour deux ans. L’Union européenne finance aussi à hauteur de 4 millions d’euros une mesure d’assistance d’urgence qui doit compléter la formation des unités militaires par la fourniture de matériel individuel et collectif non létal.
Mais l’Union européenne sait pertinemment bien qu’une défaite des islamistes passe d’abord et avant tout par la réussite de la mission de la Sadec.
Jeu de dominos
Aujourd’hui, les Sud-Africains constituent le plus grand contingent de la troupe de la Sadec déployée au Mozambique avec 1495 hommes, devant le Zimbabwe (304) et le Botswana (296). Mais le rôle du Zimbabwe est au centre de toutes les attentions. Ces militaires sont considérés avec les Rwandais et les Angolais comme les forces les mieux entraînées et constituent un partenaire de poids dans ce combat dans un pays voisin.
Seul souci, le pays est sous sanctions américaines et européennes depuis… 20 ans et les violences perpétrées par le pouvoir lors de la campagne électorale qui a permis une énième réélection de Robert Mugabe à la tête de l’Etat. Ces sanctions ont frappé une centaine de personnes et entités juridiques qui se sont vues interdites d’entrer dans ces pays, leurs avoirs gelés.
Les sanctions ont depuis été levées pour certaines personnes visées, mais elles sont toujours assorties notamment d’une suspension de l’aide budgétaire du Fonds monétaire international (FMI). A l’automne dernier, l’institution financière a réitéré son refus de soutien en raison d’une dette insoutenable. Le pays d’Afrique australe accuse 9,3 milliards d’euros d’emprunts dont près de six milliards d’arriérés. Selon certains hommes d’affaires et responsables politiques, les sanctions entraînent dans un cercle vicieux de pauvreté le pays englué dans une grave crise économique.
Dans ce contexte, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), le bras armé de la diplomatie et de la sécurité européenne, et son patron, le Haut représentant pour les Affaires étrangères Josep Borrel mais aussi plusieurs Etats sont favorables à une levée rapide des sanctions contre le Zimbabwe.
Les discussions pour sur ce point ont été entamées en décembre dernier et se sont poursuivies le mercredi 12 janvier. Une décision définitive pourrait être annoncée fin février dans la foulée du sommet Union européenne – Union africaine qui doit se tenir ces 17 et 18 février prochains à Bruxelles.
L’enjeu est de taille et le timing serré. En effet, le Zimbabwe se dirige à grand pas vers la présidentielle de 2023. Si le ZANU-PF, parti de Robert Mugabe, historique de la lutte pour l’indépendance, est toujours donné largement favori, l’actuel président Emmerson Mnangagwa, qui émarge de cette formation doit faire face aux ambitions de son vice-président Constantino Chiwenga.
L’Union européenne n’est pas nécessairement une grande fan d’Emmerson Mnangagwa mais elle joue la carte du pragmatisme en reconnaissant que celui qui a offert ces derniers mois des signes d’ouverture sur des questions agraires, sur la liberté de la presse ou même en renvoyant son influent ministre de l’Intérieur (trop « motivé » à faire donner la troupe dès qu’il y avait a moindre petite manifestation), est actuellement son meilleur partenaire dans l’optique de la lutte contre l’islamisme et pour la stabilité en Afrique australe.
Les gestes de Mnangagwa ont en tout cas été appréciés par une majorité des membres de l’UE et lui ont permis de marquer des points face à son adversaire qui ne cache pas ses ambitions, ses bons contacts avec la Chine, sa frilosité à se déployer au Mozambique et ses liens étroits avec le « Ferret team », responsable de missions punitives contre des membres de la société civile zimbabwéenne.
Les deux hommes vont se faire face et la bataille larvée a déjà commencé dans divers scrutins provinciaux ou les hommes des deux camps se sont rendus coup pour coup. Le climat est à la guerre froide au sein du Zanu-PF et le trône de Mnangagwa instable. C’est dans ce contexte que le Zanu-PF se prépare à des élections primaires pour sélectionner les candidats qui représenteront le parti lors des prochaines élections partielles à l’Assemblée nationale prévue pour le 26 mars. Ce scrutin doit précéder le Comité central seul organe qui peut faire ou défaire la direction du parti.
L’Union européenne semble aujourd’hui tentée d’envoyer un bol d’air à l’actuel président en levant les sanctions (l’unanimité nécessaire n’y est pas encore), quitte à les maintenir sous conditions, pour qu’il puisse démontrer que sa politique d’ouverture est récompensée et envoyer un message d’espoir au peuple zimbabwéen en échange de la mobilisation de ses troupes contre le péril islamiste qui inquiète de plus en plus nombre de responsables européens.