« Le film veut donner des outils pour la mise en place d’une justice transitionnelle au Congo »

« Le film veut donner des outils pour la mise en place d’une justice transitionnelle au Congo »

L’Empire du silence, onzième long métrage du cinéaste  Thierry Michel, réalisé en République démocratique du Congo, est un film-somme qui retrace le chemin de croix entamé par la population depuis plus de vingt-cinq ans, entre exactions répétées et victimes oubliées. A voir en salles dès ce mercredi en Belgique

Le film L’Empire du silence est né d’un constat : le besoin criant de vérité, de justice et de réconciliation au Congo. Comme ce fut le cas, à un moment de l’Histoire récente, en Afrique du Sud ou au Rwanda, avec cette spécificité qu’il s’agissait de conflits internes.

« Ici, on est face à des conflits internationaux avec des armées d’occupation – l’Ouganda et le Rwanda – qui sont venues perpétrer des massacres au Congo, jusqu’au point de se faire la guerre entre elles pour piller les richesses de la RDC. Des tribunaux mixtes nationaux ne peuvent pas s’occuper de cela. L’Union européenne et les États-Unis ont pris des sanctions contre certains militaires et dirigeants politiques qui avaient opéré une répression féroce lors des élections. Je ne vois pas pourquoi ces sanctions ne s’étendraient pas à tous les criminels répertoriés par les Nations Unies dans une base de données à Genève. On sait qui sont ces criminels et, de manière surréaliste, cette liste reste confidentielle. C’est comme si on avait dit, en 1965 en Belgique, qu’un massacre a été opéré par des nazis en Ardenne et que le nom des responsables doit rester confidentiel. Cette liste confidentielle est une honte absolue parce qu’elle permet la protection des bourreaux. Il faut que les Nations Unies la publient et qu’il y ait des sanctions internationales vis-à-vis de ces personnes et que l’on puisse commencer le travail judiciaire », détaille le réalisateur belge Thierry Michel.

« Depuis plus de 25 ans, je tiens une chronique cinématographique de l’histoire du Congo Zaïre. » Onze films résultent de ce travail à cheval entre Histoire et patrimoine. Sa rencontre avec le Dr Denis Mukwege, qui témoigne depuis des années de la détresse des populations congolaises et dénonce l’impunité des tortionnaires, qu’ils soient congolais, rwandais ou ougandais, a poussé le cinéaste à retourner sur la trace des belligérants au Congo.

En quête d’une justice internationale

Après des voyages aux États-Unis, à Genève, Paris et Oslo, le réalisateur a mis le cap, en janvier et février 2020, sur Kinshasa, Mbandaka, Kisangani et Kananga « afin d’aborder les crimes les plus récents ». « Parmi ceux-ci, il y a de multiples massacres de même type que ceux de Srebrenica en ex-Yougoslavie, dont les criminels viennent d’être condamnés par un Tribunal Pénal International. Ces crimes perpétrés au Congo sont peu médiatisés et n’ont fait l’objet d’aucune suite judiciaire ni en RDC, ni devant une cour africaine ou une juridiction internationale », souligne le cinéaste belge.

Le travail judiciaire doit forcément commencer par la recherche de la preuve, notamment dans les nombreuses fosses communes du pays. « Le film montre cette volonté de déterrer les corps pour les jeter dans le fleuve et empêcher le travail judiciaire. C’est en faisant des recherches sur les fosses communes que deux experts des Nations Unies, un Américain et une Suédoise, ont été assassinés. C’est dire toute l’importance de ce travail. Il faut une exhumation et une identification des corps, comme cela s’est fait en Irak pour les victimes yézidies, moins anciennes que celles au Congo, malheureusement. »

Le film sur le Dr Mukwege avait été projeté au Parlement européen, aux Nations Unies et au Conseil des droits de l’homme à Genève. « On espère refaire le même chemin de Damas cette fois-ci. Mais la tentative d’organiser une projection au Conseil des Droits de l’homme des Nations Unies à Genève n’a pas abouti en septembre. Ils ont pris peur, il faut le dire clairement ! Plusieurs pays – Belgique, Luxembourg et Suède – ont décliné la proposition de l’inscrire à l’agenda, ça me semble hallucinant ! Pourtant, nous sommes soutenus en Belgique par la Coopération et le ministère des Affaires étrangères. Il faut une cohérence et qu’on ne dise plus que ce film pourrait indisposer certains. C’est le syndrome de Pie XII : ‘je n’ai rien vu, je n’ai rien entendu’ et pendant ce temps-là, les massacres continuent. »

Poursuivre le travail d’enquête de 2003 à 2022

Cette « frilosité » des autorités internationales n’est pas une première. « Le film montre bien comment le rapport Mapping, réalisé avec soin par les experts des Nations Unies, a été mis sous le tapis. Et ce rapport s’arrête à l’année 2003 donc il faudrait déjà lister tous les crimes abominables commis de 2003 à 2022. Pour que les Nations Unies – avec toute la puissance de leur logistique et leurs moyens financiers – répertorient les crimes qui se sont succédé comme dans un carrousel infernal. »

Le rapport publié le 1er octobre 2010 peut être consulté mais aucune des résolutions qu’il préconise n’a été mise en place. La campagne #JusticeforCongo pourrait contribuer à mettre fin à cette impunité. « L ’idée du film est de donner des outils pour la mise en place d’une justice transitionnelle au Congo. Je trouve remarquables les Congolais et les experts internationaux qui n’ont pas eu peur de nommer les responsables dans le film : Joseph Kabila, le Rwandais James Kabarebe, ex-chef d’état-major en RDC,… Il faut que cela n’ait pas été fait en vain. »

« Même si on n’obtient pas cette liste, on connaît déjà les noms de certains et des sanctions internationales peuvent être prises à leur encontre afin qu’ils ne viennent plus faire leur business en Europe, leurs achats avenue Louise ou aux Champs-Elysées », insiste le cinéaste.

La campagne #JusticeForCongo est déjà lancée

Cette campagne, lancée en parallèle de la sortie du documentaire, pointe une série de propositions concrètes qui ouvrent la perspective d’une action nationale et internationale. « Pour y arriver, il faudra mettre des outils en place – une politique scientifique de pointe, une banque ADN,… – grâce à un appui international. Des financements pour le Congo existent, rappelle Thierry Michel. Les Nations Unies dépensent un argent invraisemblable au Congo. Il faut savoir où on investit cet argent et si ces questions de justice ne sont pas prioritaires dans l’agenda de la communauté internationale ! »

Entretien: Karin Tshidimba

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