« Avec Kinshasa Now, je voulais combattre la méconnaissance au sujet des enfants de la rue »

« Avec Kinshasa Now, je voulais combattre la méconnaissance au sujet des enfants de la rue »

Déjà auteur du documentaire Kinshasa Kids en 2012, Marc-Henri Wajnberg poursuit son travail auprès des enfants dits « de la rue » en RDC. Doté d’un enthousiasme à toute épreuve, le réalisateur a réussi son pari: un tournage en réalité virtuelle (VR) à Kinshasa, avec des enfants des rues pour mieux appréhender leur réalité. Kinshasa Now, son nouveau film, qui permet une immersion dans la ville, est visible à Bozar Bruxelles dès dimanche 16 janvier. (Vidéo)

Baptisé Kinshasa Now, le film a été présenté à La Mostra de Venise en 2020 et a fait l’objet d’une tournée congolaise en mai dernier qui a duré un mois et demi et est passée par quatre villes : Kinshasa, Mbuji-Mayi, Lubumbashi et Kwilu Ngongo. Le film a été diffusé dans une vingtaine de lieux dont des centres de réinsertion pour les enfants des rues, des foyers culturels, des sièges d’ONG et d’associations locales. « Ce sont les enfants, protagonistes du film, qui ont eux-mêmes animé les débats sur les thèmes abordés dans Kinshasa Now » se félicite le cinéaste qui y voit la suite logique de l’aventure entamée en 2009.

Retour à la scolarité et confiance en soi

« Le tournage de Kinshasa Kids s’était déroulé sur une période de six mois. Il était donc difficile pour moi de laisser ces enfants avec qui j’avais passé autant de temps. Certains sont d’ailleurs sortis de la rue après le film. La plupart étaient d’accord d’aller dans un centre et ont pu suivre une petite scolarité. Michael Jackson est resté dans la rue car il voulait gagner son argent. Sammy ne voulait pas aller dans le centre et a intégré un groupe de musiciens que l’on voyait jouer dans le film. »

Le réalisateur a réalisé une première tournée congolaise avec son film Kinshasa Kids au fil de 20 centres différents. « On voyait déjà comme le film a permis aux enfants de gagner en assurance et de s’exprimer publiquement. »
Montré dans 70 festivals, le film a reçu beaucoup de prix mais la méconnaissance de cette thématique subsistait. « Je me suis demandé comment je pouvais raconter cette réalité autrement. » Ainsi est née l’idée d’une réalité virtuelle à choix interactifs. A chaque étape, le spectateur peut choisir entre deux options et cela donne donc 40 versions différentes du scénario de départ. «Avec une vraie volonté pédagogique et un dossier qui permet d’aborder l’histoire, la géographie, les droits des enfants, etc.»

Après une première expérience à l’institut Paul-Henri Spaak, le film va être présenté dans de nombreuses écoles en Belgique.
« C’est ma première expérience en réalité virtuelle. Humainement, je m’y retrouve car j’adore Kinshasa, on parle d’une problématique importante et je suis entouré d’amis musiciens et performeurs. Donc tout cela me touche beaucoup. En tant que cinéaste, je m’y retrouve aussi car j’ai dû réfléchir à comment raconter une histoire sous des formes différentes. C’est une fiction qui ressemble à un doc puisqu’on a mis en récit le quotidien réel de ces enfants » explique Marc-Henri Wajnberg.

Trois garçons et une fille

Dans l’histoire, on suit Mika, mais aussi trois autres garçons et une fille. « C’est la proportion des enfants que l’on croise dans les rues. Après le film, on leur a posé la question de savoir où ils voulaient aller pour tenter de se réinsérer. Certains sont allés dans un centre comme le montre l’exposition à Bozar qui évoque mon travail au Congo depuis dix ans. La seule fille du groupe, Chancelvie, ne voulait pas rester dans ce centre car elle se sentait emprisonnée. Je l’ai retrouvée à Nsele, près de l’aéroport, loin de Kinshasa. »

Marc-Henri Wajnberg a tourné un autre long métrage sur elle et sa bande de 6, 7 copines. « Un film qui sortira en mai prochain et s’appelle I’m chance. Un film très fort, entre violence, charme et énergie où on les voit se battre littéralement mais on les voit aussi au contact de musiciens et de performeurs. »

Famille, religion, transports, santé

Au départ, cette version interactive est née de la volonté du cinéaste de défricher de nouveaux territoires. « C’est pour cela que je me suis lancé dans la VR comme je l’avais fait en concevant 1200 petits claps diffusés dans 50 pays et sur la RTBF à l’époque. »

Kinshasa Now était le seul film belge en compétition à Venise en 2020. Depuis, il a voyagé dans 34 festivals et a récolté 14 grands prix. « Mais cette technologie est lourde. Car il faut un ordinateur et un casque spécial par personne donc peu de lieux et de festivals peuvent se le permettre. Alors que la version linéaire est beaucoup plus simple car elle est téléchargée dans le casque. Au lieu des quarante chemins possibles, elle propose une version que j’ai choisie mais qui me semble proche de ce que les enfants vivent dans la rue. Le scénario a été travaillé autour de grands thèmes – la famille, la religion, les transports, la santé, le travail, la réinsertion, la résilience, etc. – qu’on retrouve dans le dossier pédagogique. »

Le réalisateur reste en contact avec le centre dans lequel les garçons sont inscrits. « Deux d’entre eux sont retournés dans leur famille, ce qui est positif. Patrick a eu son diplôme de boulanger-pâtissier, ce qui est une réussite. Mais Mika est retourné dans la rue, sous la pression de sa bande, et il a été emprisonné pour vol. J’ai engagé un avocat pour le défendre. Une fois que les enfants ont franchi le cap des 12 ou 14 ans, il est très compliqué de les faire changer de vie », constate le cinéaste.

Le casting avait permis de repérer les enfants les plus talentueux face à la caméra. C’est comme cela qu’un groupe a été formé et que les caractères apparaissaient. « Vainqueur était un chef né, Chancelvie avait une personnalité lumineuse. Travail, musique, boxe, petits larcins: tout correspondait à leur personnalité et était conforme à ce qu’ils vivent dans la réalité. Cela permet à ceux qui voient le film d’avoir des discussions, ou pas, sur les thèmes abordés, comme le droit des enfants. » Une notion trop souvent bafouée lorsqu’on est un enfant issu d’une famille pauvre.

Entretien: Karin Tshidimba

NB: Les réservations se font via le site de Bozar qui prévoit des créneaux de 30 minutes pour la découverte du film et ensuite 30 autres minutes pour visiter l’expo.

Photos: Wajnbrosse Productions

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