Photo: Avec l’association « Madrasati », Haneen Al Khateeb parcourt le pays, ballons sous le bras. C’est vendredi, jour de weekend, et les ateliers qu’elle donne avec plusieurs autres coaches ont attiré une cinquantaine de filles de l’école Oum Baia, à Amman. PHOTO JOHANNA DE TESSIERES / COLLECTIF HUMA
Le mercredi après-midi, juste avant les vacances de Noël, les élèves de l’Athénée Jean Absil avaient rendez-vous dans les locaux vides de leur école pour un atelier avec l’ASBL Asmae.
Assis·e·s en cercle, les élèves ont débattu ensemble sur l’un des grands volets qui ouvre cette formation : les inégalités de genre.
Le football, vecteur d’émancipation
Il existe différents angles pour aborder une thématique aussi vaste que les inégalités de genre mais ce jour-là, c’est avec l’outil « What the foot ?! » confectionné par le collectif HUMA, que les élèves vont s’imprégner du sujet. Cet outil pédagogique est issu d’un reportage qui explore le rapport des femmes au foot comme vecteur d’empowerment, de développement personnel et d’égalité. Du Bénin à la Belgique, de la Jordanie à l’Inde et de la Cote d’Ivoire à l’Allemagne, le collectif HUMA a sillonné le monde pour aller à la rencontre des femmes qui prennent la société à contre-pied. Pour se mettre dans le bain, le groupe commence par un rapide quizz. « La première coupe du monde masculine a eu lieu en 1930. Quand a eu lieu la première coupe du monde féminine ? » demande Yolande, responsable ECMS chez Asmae. Une sorte de silence hésitant règne dans la salle. « Pouvez-vous me citer le nom d’une des joueuses de l’équipe nationale ? Ou le nom de la femme récompensée par le premier ballon d’or ? » dit Yolande. Le silence se fait plus intense. « Quel pays a supprimé le football des pratiques sportives encadrées pour les femmes, entre 1932 et 1970 ? » demande cette fois Yolande. « L’Arabie Saoudite ? » dit un élève. « La Corée du Nord ? » propose une autre élève. Et non ! Contrairement aux idées pré-reçues, c’est la France. Une belle façon de comprendre la fragilité des droits des femmes en Europe qui sont loin d’être des acquis définitifs. Car, rappelons-le, ces droits sont non seulement extrêmement récents : les femmes en Belgique ont obtenu le droit de vote en 1948 et le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en 1990. Mais ils restent constamment menacés et souvent instrumentalisés par les politiques menées par certains pays européens.

Les mécanismes de domination
Pour mieux comprendre les inégalités entre les hommes et les femmes, il faut s’attarder sur les mécanismes qui les créent, les maintiennent et les renforcent. Appuyée par l’image d’une femme seule dans une maison, Yolande pointe du doigt trois catégories de mécanismes : le plafond de verre, le plancher qui colle et les murs qui rétrécissent. Le premier, malheureusement très connu, renvoie au fait que les femmes peuvent progresser dans la hiérarchie des entreprises mais uniquement jusqu’à un certain niveau. Le second se réfère à leur difficulté à s’extirper des assignations et des stéréotypes attribués par leur entourage et par la société. Et enfin, le troisième s’attarde sur l’aspect psychique des mécanismes des inégalités de genre : les limites que les personnes intègrent en bloquant elles-mêmes le développement de leur confiance en elles-mêmes et leurs possibilités d’action et d’évolution personnelle.
Si, pour certain·e·s, ces mécanismes restent des conceptions abstraites, le projet « What the foot ?! » permet de les illustrer efficacement. Pour ce faire, Yolande dispose plusieurs photos de footballeuses issues de divers pays sur les tables de classe. Les élèves doivent choisir une photo au hasard tout en essayant de comprendre qui est la femme représentée sur la photo choisie et quelle est son histoire. Intéressé par cette proposition, tout le monde se lève rapidement et prend le temps d’observer les visages et les corps de ces femmes, qui, chacune à leur manière, interpellent les regards.
De retour à leur place, les élèves découvrent derrière chaque photo choisie le témoignage de la femme qui y est représentée. Il s’agit alors de mettre en exergue, à travers son récit, l’impact des mécanismes d’inégalités de genre, et quels sont les leviers et les freins à l’émancipation. « Moi j’ai pris la photo d’une femme en Allemagne », dit une élève. Bibiana Steinhaus est la première femme arbitre à avoir arbitré des matchs de l’un des plus grands championnats européens en 2017. Dans son récit, elle explique l’effervescence médiatique qu’il y a eu autour de sa présence et la difficulté d’être reconnue comme compétente dans ce type de métier. Elle souhaite qu’il soit dorénavant « normal que la personne la plus qualifiée obtienne le job, quel que soit son sexe ». Un exemple parfait du plafond de verre dans le monde du football.

« J’ai pris la photo d’une jeune fille et de sa mère au Bénin. Sa mère l’encourage à faire du football et à aller à l’école. Pour moi ça illustre le mécanisme du plancher qui colle mais de manière positive » explique une élève. En effet, malgré un avis défavorable de son mari qui considère le football comme un sport d’hommes, Bélassé Tchari est fière de sa fille et l’encourage « à faire quelque chose qui va dans le sens de son propre développement ». Un élève raconte l’histoire de Haneen Al-Khateeb qui parcourt la Jordanie dans le but de faciliter l’accès au sport pour les filles. « S’il y a une chose que je souhaite inciter, c’est la confiance en elles. Qu’elles se sentent capables de déplacer des montagnes parce que le football leur aura donné des compétences… et la force d’y croire » déclare Haneen dans son récit. Une belle façon de casser les carcans mentaux qui maintiennent les femmes dans des comportements de soumission et de manque de confiance en elles.

« Une fois, on faisait du sport à l’école et les filles devaient courir en rond dans la cour, pendant que les garçons faisaient du foot. On a demandé pourquoi on ne pouvait pas faire du football nous aussi ? » témoigne Marion qui se demande les raisons qui expliquent un programme sportif différentiel entre hommes et femmes. « Moi je joue au football dans une équipe de filles. On a remarqué qu’on ne pouvait pas jouer sur les meilleurs terrains. Les choses changent mais c’est encore différent » ajoute Léa.

Des inégalités confirmées dans les chiffres
Pour clôturer cette réflexion sur les inégalités de genre, quelques chiffres sont parfois nécessaires pour rendre compte de l’immensité du travail qu’il reste à faire pour les réduire en Europe, et dans le reste du monde. En ce qui concerne l’éducation, 2/3 des personnes analphabètes dans le monde sont des femmes. Au niveau de la santé, 830 femmes décèdent par jour des suites d’une complication d’une grossesse ou d’un accouchement. En termes d’avortement et d’infanticide, la majorité des fœtus/enfants sont de sexe féminin. En Inde, par exemple, sur 6 millions d’avortements 80% sont des fœtus féminins.
L’un des secteurs économiques le moins bien rémunéré est le secteur du textile et il est pratiqué à 80% par des femmes. Les emplois dans le système du CARE, majoritairement pratiqués par des femmes, sont également parmi les emplois les moins bien rémunérés. En dehors de ce travail rémunéré, les femmes exécutent la majorité du travail domestique. Sur les familles monoparentales de Belgique, 80% de celles-ci sont tenues par des femmes.
Il existe aujourd’hui 2755 milliardaires dans le monde, et parmi ceux-ci figurent uniquement 328 femmes (classement réalisé par Forbes en 2021). Plus généralement, 70% des personnes les plus pauvres dans le monde sont des femmes, ce qui peut être mis en corrélation avec le pourcentage de femmes analphabètes.
En termes de droits politiques et civiques, sur plus ou moins 200 pays, il n’existe que 22 femmes qui sont cheffes d’état et la proportion de femmes dans les parlements nationaux n’atteint que 25% selon les chiffres des Nations Unies.
Dans 67 pays, les violences conjugales ne sont pas reconnues comme des crimes. Et, bien qu’à l’échelle mondiale les hommes soient les principales victimes d’homicides (81% d’homme contre 18% de femmes), ce sont les femmes qui sont le plus assassinées par leur partenaire intime ou un membre de la famille (64% de femmes contre 36% d’hommes). “Beaucoup de victimes de féminicide sont tuées par leurs partenaires actuels et passés, mais aussi par leurs pères, frères, mères, sœurs et autres membres de la famille en raison de leur rôle et de leur statut de femme.” précise l’étude de l’UNODC. En bref, le rapport de l’UNODC indique que “dans quatre des cinq régions du monde, la maison est l’endroit le plus dangereux pour une femme” .

Plus généralement, le viol systématique des femmes est devenu une arme de guerre. Les femmes sont également fréquemment utilisées comme esclaves sexuelles, telles les Yézidies en Irak, ce dont témoigne Nadia Murad, prix Nobel de la paix en 2018.
La journée de formation se poursuit avec Emile qui vient du Sénégal, pays où les élèves se rendront en Avril 2022. Il vit en Belgique depuis 30 ans et est venu aujourd’hui pour permettre aux élèves de l’interroger sur son pays natal et d’en apprendre plus sur la culture sénégalaise. Emile se présente et demande à tout le monde d’en faire de même. En écoutant chaque élève, il pointe du doigt qu’iels sont tou·te·s lié·e·s à d’autres personnes : leurs parents, leurs grands-parents, leurs frères ou leurs sœurs. Ensemble, iels forment une chaine humaine et celle-ci témoigne de leurs identités multiples. En partant au Sénégal, les élèves et leurs professeur·e·s vont découvrir d’autres identités de l’humanité et s’enrichir mutuellement de la rencontre avec l’Autre, dans toutes ses forces et toutes ses faiblesses.
Une rencontre qui commence déjà ici, en Belgique, grâce à Emile.