Procès pour complicité de génocide: jusqu’au bout, l’accusé n’a rien livré

Procès pour complicité de génocide: jusqu’au bout, l’accusé n’a rien livré

La cour d’assises de Paris doit rendre jeudi son verdict à l’encontre du Franco-rwandais Claude Muhayimana, ancien chauffeur contre qui 15 ans de réclusion ont été requis pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité lors de l’extermination des Tutsi au Rwanda en 1994.

Jusqu’à la dernière minute de son procès, avant que la cour ne se retire pour délibérer, l’accusé sera resté impénétrable, sans jamais vraiment rien livrer de sa personnalité ou de ses émotions.

« Je voudrais que vous essayiez de vous mettre à ma place en 1994, ce que j’ai fait pour sauver des gens. Je vous remercie », a-t-il simplement déclaré d’une voix égale jeudi matin. Les jurés, qui doivent répondre à pas moins de 100 questions, rendront leur décision dans la journée.

Claude Muhayimana, un homme de 60 ans à l’allure passe-partout, ancien chauffeur d’un hôtel touristique d’Etat de Kibuye, dans l’ouest du Rwanda, comparaît depuis le 22 novembre, poursuivi pour complicité du « crime des crimes ».

Il est accusé d’avoir transporté à plusieurs reprises, entre avril et juillet 1994, des gendarmes et des miliciens « Interahamwe » (bras armés du régime génocidaire hutu) à Kibuye et dans les collines avoisinantes, où furent exterminés des dizaines de milliers de Tutsi.

Lors de longues audiences, parfois laborieuses car souvent traduites du kinyarwanda, des dizaines de témoins ont été entendus. Des rescapés venus à Paris raconter l’horreur du génocide et des ex-tueurs condamnés, interrogés en visioconférence depuis le Rwanda, ont affirmé avoir vu l’accusé transporter ces miliciens, chantant « Exterminons-les » en brandissant leurs machettes.

L’accusé a été un « acteur du génocide » et un « rouage indispensable dans le dispositif de cette traque des Tutsi », a lancé l’accusation en requérant mercredi 15 ans de réclusion criminelle. C’est un « homme opportuniste qui s’adapte à des circonstances chaotiques, il s’est adapté au génocide en se mettant au service des génocidaires », a asséné le ministère public.

– « Je ne sais pas qui il est » –

La défense, pour sa part, a insisté sur « la faiblesse, le manque de crédibilité » des témoignages et l’absence d’éléments matériels. « Dans ce dossier, je cherche toujours la preuve », a déclaré Me Françoise Mathe. « L’immense majorité des témoins de l’accusation sont des personnes condamnées », a fait valoir son confrère Me Philippe Meilhac, se disant convaincu de l’innocence de l’accusé.

« Nous attendons une décision d’acquittement, il n’y a pas d’autre issue possible », a-t-il déclaré à l’AFP avant le verdict.

La défense a insisté sur le fait que Claude Muhayimana, d’origine hutu et alors marié à une femme tutsi, avait sauvé des Tutsi, les cachant chez lui et aidant certains à s’enfuir en pirogue sur le lac Kivu, vers le Zaïre.

La plupart des témoins, y compris l’ex-épouse, Mediatrice Musengeyezu, qui a qualifié son époux de « menteur et manipulateur » lors d’un témoignage dévastateur, ont attesté que Claude Muhayimana avait sauvé des Tutsi pendant le génocide.

Mais les débats n’ont pas permis de lever le voile sur l’accusé.

« Je ne sais pas qui il est, ça fait presque peur, je n’arrive pas à percer qui est cet homme. Il ne me paraît pas avoir conscience de ce qui s’est passé, il paraît presque insensible, impénétrable, comme si tout cela ne l’avait jamais concerné », a déclaré à l’AFP Providence Rwayitare, 43 ans, ancienne voisine de M. Muhayimana qui a témoigné au procès contre lui.

Pour Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), association qui traque les génocidaires et est à l’origine de la procédure contre M. Muhayimana, l’accusé « s’est enfermé dans un mensonge consistant à dire qu’il n’était pas sur les lieux des crimes, ce que tout le monde conteste ».

« Ce qui nous importe, ce n’est pas la durée de la peine, mais c’est surtout le fait qu’il soit reconnu coupable. Je n’ai pas de haine, s’il est condamné ce soir je ne vais pas me réjouir, je dirai simplement +justice a été rendue+ », a-t-il dit à l’AFP.

Le procès de Claude Muhayimana est le troisième en France lié au génocide des Tutsi mais c’est la première fois qu’un citoyen « ordinaire » est jugé. Les deux autres avaient concerné un ex-capitaine de l’armée et deux bourgmestres rwandais.

Que pensez-vous de cet article?

Derniers Articles

Journalistes

Dernières Vidéos