Dans le génocide des Tutsi, « le rôle de chauffeur » n’était « pas anodin », selon des parties civiles

Dans le génocide des Tutsi, « le rôle de chauffeur » n’était « pas anodin », selon des parties civiles

« Alibis invraisemblables », témoins à décharge « peu fiables », « pressions », témoignage accablant de son ex-épouse: les avocats des parties civiles ont étrillé mardi la défense d’un ex-chauffeur franco-rwandais, qui a eu selon eux un rôle « pas anodin » ayant permis de « faciliter les tueries » au Rwanda.

Claude Muhayimana est jugé depuis le 22 novembre à Paris pour « complicité » de génocide et de crimes contre l’humanité lors du génocide ayant visé la minorité tutsi au Rwanda, orchestré par le régime extrémiste hutu (plus de 800.000 morts, d’avril à juillet 1994).

Ce Franco-Rwandais de 60 ans, d’origine hutu, est cantonnier à Rouen (nord-ouest).

Alors qu’il était chauffeur d’une guest-house à Kibuye (ouest du Rwanda) en 1994, M. Muhayimana est accusé d’avoir « aidé sciemment », entre avril et juillet, des gendarmes et des miliciens en assurant leur transport sur des lieux de massacres, notamment dans les régions de Kibuye et Bisesero.

Muhayimana, au profil complexe et opaque, encourt la réclusion criminelle à perpétuité. La défense, qui entend plaider la contrainte, décrit un « simple citoyen », tombé dans « le chaos du génocide ».

Le verdict est attendu jeudi.

« Le rôle de chauffeur n’est pas un rôle anodin, même si un tueur aura toujours plus de responsabilités qu’un simple chauffeur », a lancé mardi aux jurés des assises Alexandre Kiabski, avocat du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), association luttant contre l’impunité de présumés génocidaires réfugiés sur le sol français.

« Cela peut paraître d’une gravité relative aujourd’hui, mais c’est en réalité très important: les véhicules et les chauffeurs n’étaient pas nombreux et les distances sont importantes et avec du dénivelé au Rwanda: pouvoir être véhiculé était un gain de temps et cela a facilité les tueries », a-t-il ajouté.

Ce procès est le troisième lié au génocide des Tutsi organisé en France mais le premier à juger un citoyen « ordinaire ».

La défense « vous a présenté un petit chauffeur de Kibuye, devenu cantonnier à Rouen », a relevé Matthieu Quinquis, avocat de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), partie civile. Mais entre « l’organisation et l’exécution, dans cette entreprise génocidaire, chaque maillon est essentiel ».

– « Des hommes pour en conduire d’autres » –

« Des témoins sont venus répéter que sans les chauffeurs, les tueries des collines de Bisesero, de Gitwa, de Kibuye auraient été ralenties et entravées, que le Rwanda n’aurait pas connu autant de morts s’il n’y avait pas eu des hommes pour en conduire d’autres », a-t-il lancé.

Me Kiabski a relevé que « plus d’une quinzaine de personnes ont confirmé avoir vu M. Muhayimana conduire des véhicules transportant des Interahamwe », miliciens et bras armés du génocide.

L’ex-épouse de M. Muhayimana, d’origine tutsi, a livré un « témoignage capital », a déclaré Me Kiabski. « Elle a dit qu’elle n’a jamais vu son mari rentrer avec des habits tachés de sang, mais qu’elle l’a vu conduire des Interahamwe à plusieurs reprises, tout au long du génocide ».

L’avocat a ensuite énuméré les faiblesses selon lui de la défense, notamment des témoins à décharge « peu fiables ».

Claude Muhayimana a dit avoir été réquisitionné par les autorités pour convoyer le corps d’un gendarme tué dans des combats et avoir voyagé du 14 au 27 avril dans le nord du Rwanda, ce qui « le place, de façon heureuse, hors de la ville de Kibuye lors des grands massacres », a relevé Me Kiabski.

L’accusé affirme avoir ensuite été « malade » et être resté chez lui les deux mois restants du génocide. « Aucun témoin crédible n’est venu le confirmer », a jugé Me Kiabski.

L’avocat a dénoncé des « pressions », rappelant que « des plannings d’audition et des noms de témoins ont été retrouvés au domicile de M. Muhayimana » et qu’il avait « directement contacté certains des témoins » et qu’on leur avait demandé de changer de version contre de l’argent.

Concernant l’argument de la contrainte, c’est un « exercice d’équilibriste » de la défense, a estimé l’avocat du CPCR. « Soit l’accusé n’a participé à aucun des actes qui lui sont reprochés, soit il invoque la contrainte et cela revient à admettre qu’il y a eu participation, sous la contrainte », a-t-il dit devant la cour.

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