Ce mardi 14 Décembre débute aux Halles de Schaerbeek la troisième édition du festival Africapitales.
L’objectif de ce grand rassemblement est de poursuivre le dialogue entre les différentes composantes de l’hyperdiversité bruxelloise et l’Afrique et les diasporas afroxelloises. Comme pour les années précédentes, les Halles donnent carte blanche à des collectifs coordonnés par : Mademoizelle Pilipili, Roots Events et Uhorakeye.
Africapitales, vous propose, étalé sur neuf journées, un programme riche et varié animé par des plasticiens, des humoristes, une réalisatrice, des musiciens et des intervenants de Bruxelles et du continent africain. Des moments de rencontre forts, dédiés aux habitants de la capitale à travers des événements quotidiens, ouverts à tou·te·s, en entrée libre.
Cette première semaine débutera avec un art-talk, des projections et les ateliers pour enfants de Yaya Coulibaly. Un focus afroxellois et une expérience théâtrale proposée par Jonathan Moncef Kibani Boussaleh termineront la semaine.
Durant le week-end des 18 et 19 décembre, le programme donnera la place aux enfants avec le Monde de Jahi et un atelier de Yaya Coulibaly, aux créateurs avec le Brussels African Market et à une après-midi bien-être consacrée à une réflexion autour des cuisines africaines.
Bruxelles-Africapitales se refermera le 22 décembre avec le rendez-vous annuel « Correspondances » qui invite tout un chacun à rédiger une lettre à l’artiste ou à la figure de résistance qui a marqué sa vie. La restitution des courriers se fera en présence du parrain de cette édition, l’acteur et metteur en scène, Denis Mpunga et d’autres intervenants issus du milieu sportif et de la musique.
Tout au long du festival se tiendra l’exposition Tango y a bakoko “À l’époque des grands-parents”, un voyage sonore et musical dans les souvenirs des indépendances africaines des années 60, réalisé par Nguizani Mansuel avec en arrière-plan, l’exposition de la photographe Leila Lahbi M et sa série de portraits de ces aîné.es qui ont inspiré et/ou ont participé à ce podcast composé de 4 épisodes.
Cette année l’accent sera mis sur le dialogue entre les générations d’afroxellois et le temps long de la culture africaine dans sa dimension mémorielle incarnée par le marionnettiste malien Yaya Coulibaly, gardien de la tradition Bambara, la plus vieille et la plus riche d’Afrique.
« Il y a une longue histoire de la culture africaine contrairement à ce que l’on pourrait penser. Les formes de transmission de cette mémoire de la culture sont juste différentes des nôtres » explique Christophe Galent, directeur des Halles de Schaerbeek. « A l’image des place publiques à ciel ouvert, les halles disposent d’un espace et d’un volume appropriés pour expérimenter l’art d’une autre façon » poursuit-il. Le festival s’inscrira dès lors dans l’esprit de performateurs d’art comme Eddy Ekete, l’homme-cannette en RDC, qui, loin d’une présentation frontale et binaire de l’art (public versus artistes ou public versus œuvres) propose de le vivre au quotidien, de manière spontanée. Le weekend se déroulera au rythme diversifié d’un salon de créateurs, d’arts culinaires, de spectacle de marionnettes, de débats, dans ce grand espace interactif dans lequel les visiteurs sont amenés à se promener et à expérimenter l’art d’une autre façon.
Yaya Coulibaly et ses marionnettes porteuses de vie, de culture et d’histoire
Initié dès son plus jeune âge aux savoirs mystiques, descendant direct du roi de Ségou, Yaya Coulibaly hérite de son père la maitrise du théâtre de marionnettes, principalement utilisées dans des rites initiatiques au Mali. Après des études à l’Institut National des Arts (INA) de Bamako, ainsi qu’à l’Institut de la Marionnette en France et à l’Ecole Nationale Supérieure des arts et de la Marionnette (ESNAM), Yaya Coulibaly continue son parcours de marionnettiste en créant en 1980 sa propre troupe, Sogolon, pour promouvoir la création du théâtre de marionnettes d’influence Bamanan, Somono et Bozo. Première troupe de marionnettistes du Mali, Sogolon crée des spectacles depuis vingt ans et forme des intervenants et des artistes maliens, africains et européens aux pratiques marionnettistes. Héritier d’une très ancienne collection de marionnettes de plus de 25.000 pièces, Yaya la complète, jour après jour, avec de nouvelles créations. « C’était un devoir de transmission pour ma part » explique-t-il d’un air grave lorsqu’il évoque les pratiques marionnettistes datées du 6ème siècle AJC en Afrique.

« Quand j’étais petit, les mamans avaient beaucoup de mal à financer les livres scolaires. Donc on se rabattait sur les contes. C’était la première école de formation et d’instruction pour nous » raconte Yaya Coulibaly. C’est à travers de multiples voyages que Yaya Coulibaly se rend compte de l’omniprésence des marionnettes et des contes dans le monde. Sous diverses formes, il retrouve les mêmes messages moraux. « Les premières à m’avoir introduit dans l’univers de la vie, ce sont elles, mes marionnettes. J’ai donc décidé de favoriser leur diffusion, leur création et leur préservation car les personnes qui constituaient le groupe des anciens commençaient tout doucement à disparaitre ». Pour cet artiste, la culture est le seul remède aux divers maux qui traversent nos sociétés et les marionnettes en sont des ambassadrices. Elles jouent un rôle fondamental dans le domaine de la cohésion sociale, du vivre ensemble et de l’identification culturelle. « Nous sommes tous en faillite et nous les avons provoquées. Que fait-on maintenant ? Avant il y avait tous ces petits moments autour de la culture, qui étaient fraternisants, socialisants et qui permettaient aux gens de croire encore en quelque chose. Mais s’il n’y a plus d’espace, s’il n’y a plus un lieu ou un élément culturel autour duquel on peut au moins se réunir et permettre aux gens d’oublier » poursuit-il.

Yaya Coulibaly viendra donc donner plusieurs ateliers de fabrication de marionnettes aux enfants et une présentation du conte « le Baptême du Lionceau » le samedi 18 décembre dans le cadre du festival. Un moment pour s’attarder sur les rôles de ces diverses marionnettes. Figures d’animaux ou de personnes, elles accomplissent plusieurs fonctions : certaines, sacrées, sont utilisées uniquement dans le cadre de rites de passages pour un public d’initiés. D’autres, semi-sacrées, sont utilisées pour des rituels de protection du village ou pour commémorer des évènements marquants vécus par la communauté. Les marionnettes dites traditionnelles sont liées à des rites agraires, des cérémonies diverses en fonction des périodes clés de l’agriculture mais toujours en lien direct avec les cieux, le créateur et la terre. Enfin, les marionnettes populaires sont l’apanage des jeunes qui les utilisent principalement dans le cadre d’un tribunal populaire chaque année : une sorte de satire sociétale, dans l’esprit des « Guignols de l’info », durant laquelle sont dénoncés les comportements inadéquats des un·e·s et des autres.
Aujourd’hui, Yaya Coulibaly en utilise plusieurs, de différentes catégories pour rendre compte de la diversité des pratiques. Les plus sacrées sont copiées pour qu’une version puisse être exposée aux non-initiés. Pour Yaya Coulibaly, la marionnette c’est avant tout un élément universel : on pense aux théâtres japonais, indonésiens ou italiens. Ces marionnettes fédèrent les esprits, peu importe les cultures, pour agir comme des catalyseurs thérapeutiques. Une sorte de théâtre cathartique qui met en exergue les divers aspects de nos sociétés avec une inclinaison toute particulière pour la promotion des valeurs de la tolérance, du pardon et de l’entraide.

« Il faut que la culture soit résistante »
« Je me reposerai quand je serai mort » affirme Yaya Coulibaly d’un air déterminé et taquin. Passionné et passionnant, nul ne peut ignorer l’énergie et l’enthousiasme de cet homme pour son métier. Chaque mot vibre, chaque phrase s’élève dans l’espace. Transmettre, c’est définitivement le propre de son travail. Les marionnettes sont sa source, sa force, sa foi. « Je suis heureux d’être ici aujourd’hui, dans cette capitale de la culture. Et je voudrais remercier ceux qui organisent ce festival, ceux qui ouvrent les portes et permettent à un large public de rencontrer l’Afrique » explique-t-il. « Ce petit temps consacré à l’autre, ce petit temps de partage, ça permet de récréer une espèce d’ « émotionnalité » du regard. Parce que quand on va vers l’autre, on l’estime, et l’estime crée le respect » clame-t-il. Sans cesse, Yaya Coulibaly revient sur l’importance de la culture dans nos sociétés. Les maux sociétaux seraient les conséquences d’espaces d’expression artistiques de plus en plus reclus, de moins en moins valorisés.

Durant la crise sanitaire du Covid-19 au Mali, Yaya Coulibaly n’est pas resté sans rien faire. Enfermé avec ses marionnettes il en a profité pour créer. « Ça n’est pas la première pandémie à laquelle le monde fait face. Il faut tout simplement vivre avec maintenant. Nous n’avons pas peur de mourir mais nous avons peur de mourir bêtement. Il faut faire quelque chose, ensemble » raconte-t-il. « Le Covid nous a poussés à nous demander : quel est le sens de notre présence sur la terre ? Nous sommes tous des métisses culturelles, nous sommes tous des migrants. Et maintenant où va-t-on ? » continue-t-il. Toujours dans le rire et la joie de vivre, il déclare primordial de s’unir, de transmettre et de cocréer. Venant d’un pays dans lequel règne la peur des groupes armés, où la brutalité des effets de la mondialisation se vit quotidiennement et où les subventions pour l’art sont pratiquement inexistantes, Yaya Coulibaly reste persuadé que seule la culture et sa préservation permettront aux humains d’interpeler la conscience humaine pour redonner du sens à nos vies et apprendre à vivre en paix. L’artiste se dit heureux de clôturer l’année avec l’évènement Africapitales car « il faut que la culture soit résistante » dit-il. Le monde culturel se doit d’être résistant car « la vie est belle » dit Yaya Coulibaly rieur, « et comme le dirait l’expression ivoirienne, nous on est en venus pour gâter le coin ».
Contrairement aux récentes mesures prises durant les confinements, cet hymne à la culture replace l’art au centre de nos sociétés et lui accorde la valeur toute particulière de fédérer les esprits. Un objectif qui semble essentiel dans les temps actuels et qui, comme le souligne Christophe Galent, suppose une plus grande rigueur dans la gestion des calendriers culturels effectuée par le CODECO. « Un agenda culturel se construit à l’année » déclare-t-il, et la culture ne peut plus être systématiquement prise comme prétexte par le gouvernement pour « faire semblant d’agir contre le Covid ».
Le festival aura lieu aux Halles de Schaerbeek du 14 au 22 Décembre 2021. Pour plus d’informations sur les modalités du festival et sa programmation, rendez-vous sur le site des Halles de Schaerbeek.
