Dieudo Hamadi a filmé au plus près l’incroyable odyssée des survivants de « l’autre » Guerre des Six Jours qui a durement meurtri Kisangani, dans le Nord-Est de la RDC. Révoltés et déterminés, ces rescapés ont voulu parcourir 1734 kilomètres sur le fleuve Congo pour aller réclamer leurs indemnités à Kinshasa. Un témoignage puissant, transcendé par l’humanité du cinéaste et la dignité des hommes et des femmes qu’il filme. A voir ce mercredi à 20h à Bozar Bruxelles (Extrait Vidéo)
De Dieudo Hamadi, on connaissait déjà Examen d’Etat (2014), la formidable Maman Colonelle (2017), ainsi que Kinshasa Makambo (2018), autant de films qui saisissent la société congolaise dans ses difficultés quotidiennes. Et qui questionnent ses problématiques viscérales et lancinantes: du sous-financement dramatique de l’éducation en passant par la difficile protection de l’enfance et la lutte contres les violences sexuelles, sans oublier la croisade des jeunes activistes congolais en faveur d’élections libres et démocratiques. S’y ajoute aujourd’hui la lancinante question de l’absence de soutien aux victimes des guerres et combats qui déchirent le Congo depuis 1996. Autant d’instantanés qui sondent l’histoire du Congo et l’état de ses institutions vus à travers le regard de ses compatriotes et ses concitoyens. À hauteur d’humains.
Dans ce nouveau documentaire, on suit le parcours de Modogo, Mama Kawele, Vieux Jean, Bozi, Mama Bahingi, Gédéon, Sola, Mama Kashinde et le Président Lemalema, neuf rescapés de la Guerre des Six jours. Conflit qui, en juin 2000, a vu le Rwanda et l’Ouganda s’affronter dans les rues de Kisangani, ville située au Nord-Est du Congo, occasionnant 1000 décès et 3000 blessures graves et mutilations principalement au sein de la population civile. Vingt ans après, les victimes réclament toujours réparation. « Que devons-nous faire pour être écoutés ? » interrogent-ils. « Nous réclamons l’argent de notre sang », chante ainsi la jeune Sola sur scène.
Un périple sur le fleuve Congo
La grande force du cinéma de Dieudo Hamadi est de parier sur la force de représentation d’hommes et de femmes déterminés qui se battent tout simplement pour être bien plus qu’entendus, réellement écoutés. Car la Cour internationale de justice a condamné l’Ouganda à payer 10 milliards de dollars à la ville de Kisangani, dont un milliard en guise de dédommagements pour les victimes du conflit, mais 19 ans après, celles-ci n’ont toujours rien vu venir. Raison pour laquelle le petit groupe de représentants des survivants de Kisangani a décidé de se rendre à la capitale pour aller à la rencontre des autorités congolaises.
D’ordinaire déjà, le voyage vers Kinshasa est compliqué et épuisant mais lorsqu’on est invalide, tout prend des proportions épiques. Sans compter qu’il faut se protéger de la pluie, du soleil et du vent sur la gigantesque barge qui se traîne comme un morceau de bois mort sur le fleuve Congo.
Un cinéma au plus près des citoyens
Montant à bord du bateau avec eux, Dieudo Hamadi les suit dans leur périple. En restant au plus près de chacun d’eux, il leur rend force et dignité et, surtout, leur permet d’exprimer leurs revendications et leurs espoirs. Sans voix off, ni commentaires superflus.
Face à ces corps meurtris et à ces vies estropiées, le cinéaste ne s’appesantit pas et capte au contraire leur détermination et leur débrouillardise au quotidien ainsi que leur émotion lorsqu’ils se produisent sur scène dans un spectacle qui rend hommage aux milliers de victimes de cette sinistre guerre. Sa caméra magnifie la lutte de ces citoyens démunis mais dignes face à un appareil étatique sourd, aveugle et vampirique.
Selon Human Rights Watch, les conflits liés aux ressources minières en RDC ont tué plus de six millions de Congolais entre 1996 et 2020. « Il s’agit du bilan le plus meurtrier depuis la Seconde guerre mondiale » soulignent-ils.
Le documentaire, à la fois sensible et percutant, a reçu de nombreux prix dans des festivals à Amiens, Genève et Leipzig, mais est surtout le premier film congolais à avoir été inscrit en sélection officielle à Cannes en 2020.
Karin Tshidimba