Deux chercheurs – un Congolais de Bukavu et un Belge de l’université de Gand – constatent que la politique destinée à entraver l’exploitation de « minéraux de conflit » en RDCongo a eu pour effet d’imposer des prix « artificiellement bas » aux mineurs artisanaux et d’entraîner ainsi une baisse de l’accès des Kivutiens aux soins de santé et à l’éducation. Sans empêcher la violence, qui continue dans l’est du Congo.
Christoph Vogel est directeur de recherche du projet Insecure Livelihoods du Groupe de recherche sur les conflits à l’Université de Gand (Belgique); Josaphat Musamba est étudiant à l’Université de Gand et directeur adjoint du Groupe de recherche sur les conflits et la sécurité humaine au Ceruki (Centre de recherche universitaire au Kivu) de l’Institut supérieur pédagogique de Bukavu (Sud-Kivu). Tous deux ont signé, fin octobre, un article dans « Dissent Magazine », consacré à la campagne commencée au début des années 2000 contre l’extraction de « minéraux de conflit » à l’est du Congo.
La violence « due aux mines »
A l’époque, des ONG et des enquêtes onusiennes suggéraient que la violence dans l’est du Congo était due à la soif pour l’or, l’étain, le colombio-tantale – coltan – et le tungstène, rappellent les auteurs. Les gouvernements et organisations internationales avaient alors adopté des régulations supposées barrer la route aux minéraux extraits dans la violence. Les Etats-Unis avaient ainsi adopté en 2010 une loi Dodd-Frank, dont la section 1502 oblige les compagnies enregsitrées aux Etats-Unis à rapporter quels sont les minéraux de conflits présents dans leur chaîne d’approvisionnement. Le président congolais Joseph Kabila avait été incité à déclarer une suspension de six mois de l’activité minière artisanale. La dégradation que cela avait entraîné sur le niveau de vie des Kivutiens n’a pas empêché l’Union européenne d’imiter les Etats-Unis, notent Vogel et Musamba.
L’industrie de l’étain a, quant à elle, développé un programme de contrôle « des mines au marché », iTSCi, appliqué au Congo depuis 2012. Ce programmes et d’autres initiatives similaires, notent les deux chercheurs, partaient de la conviction que la demande en minéraux avait causé des conflits armés alors que, si les minéraux ont bien joué un rôle dans ces conflits, soulignent-ils, les guerres de l’est du Congo prenaient leurs racines dans une multiplicité de facteurs endogènes et exogènes, principalement la terre et la citoyenneté. « Les minéraux étaient juste une manière, pour les groupes armés, d’accéder à des revenus pour poursuivre leurs objectifs, après que les guerres aient déjà commencé. Mais la majorité des ONG se sont concentrées sur le thème (des minéraux), à l’exclusion d’autres facteurs », soulignent les auteurs.
Une action orientée vers les Occidentaux
Vogel et Musamba stigmatisent le dédain de ces dernières pour « les complexités locales », leur « plaidoyer destiné aux Occidentaux », et le « décalage entre justification humanitaire, plaidoyer orienté en faveur des consommateurs et réformes axées sur le profit ». « Les activistes multinationaux ont trafiqué avec l’imagerie d’une Afrique sub-saharienne reproduisant les idées coloniales de brutalité endémique et de besoin d’aide ». Et aujourd’hui, malgré la multiplication de projets pour des ressources propres, la violence continue dans l’est du Congo, soulignent-ils.
Alors que leurs campagnes ont décliné, les effets négatifs de ces campagnes sur la vie des Kivutiens demeurent. Les deux auteurs se sont attachés à entendre les analyses et recommandations des activistes et mineurs congolais. Ceux-ci soulignent que le système de contrôle iTSCi se concentre sur la partie congolaise de la chaîne d’approvisionnement, pas sur la politique économique internationale des minéraux, notamment les prix. Vogel et Musamba jugent que les maisons de commerce, les intermédiaires, les industries minières et les utilisateurs finaux tablent sur le manque d’information des creuseurs congolais et sur l’imposition d’un seul circuit légal d’achat de leur production, pour imposer des prix artificiellement bas. Ils sont ainsi plus bas aujourd’hui que sous la domination des rebelles du RCD (1996-2003). « Les chaînes d’approvisionnement « sans conflit » sont souvent des institutions de façade, façon Potemkine », jugent les deux chercheurs.
Une enquête des auteurs dans différentes mines a montré que l’accès à l’éducation et à la santé a diminué entre la génération précédente de mineurs et l’actuelle.
Résistances locales
Les auteurs rapportent également l’indignation de Kivutiens de voir les défenseurs internationaux des parcs nationaux congolais faire référence aux minéraux de conflits « alors qu’il n’y a pas de mines pertinentes dans le parc » des Virunga. »La lutte contre les minéraux de conflit a pris la forme d’une mission civilisatrice avec des caractéristiques néolibérales », estiment les deux chercheurs. « Sans surprise, l’imposition de règles dans des espaces où la gouvernance est contestée a conduit à un retour de flamme et à de la résistance », ce qui a nui aux efforts de la campagne contre les minéraux de conflit et parfois même « créé de nouveaux conflits ».
Les auteurs estiment enfin que le secteur des mines artisanales de l’est du Congo souffre également du fait que la politique économique nationale est centrée essentiellement sur les mines de cuivre et cobalt du Katanga.