Bruits de bottes entre le Maroc et l’Algérie

Bruits de bottes entre le Maroc et l’Algérie

Par Arezki Aït-Larbi, correspondant à Alger

La tension entre Alger et Rabat est montée d’un cran. La mort de 3 Algériens bombardés par les Marocains en territoire sahraoui risque d’embraser la région.

La guerre des communiqués entre Alger et Rabat a brusquement dérapé sur le terrain militaire. Le 1er novembre, une attaque marocaine avec « une arme sophistiquée » selon les autorités algériennes, probablement un drone, a tué 3 camionneurs algériens qui transportaient des marchandises entre Nouakchott en Mauritanie, et Ouargla en Algérie. Erreur technique des Marocains qui croyaient cibler une colonne du Front Polisario, qui lutte pour un référendum d’autodétermination au Sahara occidental, considéré par l’ONU comme « territoire non autonome » ? Ou nouvelle provocation contre le « frère-ennemi » qui soutient le mouvement indépendantiste ? Pour la présidence algérienne, « ce crime ne restera pas impuni »…

Le contentieux entre l’Algérie et le Maroc remonte au début des années 60. En octobre 1963, alors que l’Algérie venait de sortir d’une meurtrière guerre d’indépendance, le Maroc avait tenté d’annexer une partie de son territoire. Pour l’embryon de régime autoritaire qui s’installait à Alger autour d’Ahmed Ben Bella dans une tempête de contestations multiples, cette incursion tombait à pic pour appeler à « l’unité nationale contre l’agression étrangère ». En Kabylie, où Hocine Ait Ahmed, « l’un des chefs historiques de la révolution algérienne », était entré en dissidence à la tête du Front des Forces Socialistes, l’opposition est piégée. Le colonel Mohand Oulhadj, chef militaire de l’insurrection contre la dictature en marche décrète une trêve unilatérale et prend le chemin des frontières pour prêter main forte à l’armée régulière et reprendre le territoire occupé.

Les hostilités reprendront une décennie plus tard. En quittant le Sahara Occidental en 1975, les Espagnoles ont laissé une bombe à retardement. Entre le Front Polisario qui lutte pour l’indépendance de l’ancienne colonie ibérique, et le Maroc qui veut l’annexer, la guerre est déclarée. L’Algérie, qui soutient le mouvement indépendantiste, essuie parfois les plâtres. Prolongement de la guerre froide en Afrique du Nord entre le Maroc pro-occidental, et l’Algérie pro-soviétique, les affrontements d’Amgala en 1976, en territoire Sahraoui, feront des centaines de morts parmi les soldats des deux pays.

L’irruption d’Israël dans le conflit

Comble du cynisme, c’est au nom du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » que le royaume chérifien tente de reprendre la main et de piéger son voisin. En juillet dernier, son représentant à l’ONU a appelé les Etats membres à reconnaitre « le droit à l’autodétermination du peuple kabyle » ! La Kabylie, région berbère de six millions d’habitants située à l’est d’Alger, milite pour préserver ses spécificités culturelles et son mode de vie, mais dans le cadre d’une Algérie démocratique. La tendance indépendantiste, représentée par le MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie) est minoritaire ; la création, en 2010 à Paris, d’un Gouvernement provisoire en exil lui a donné une visibilité médiatique. Ses manifestations, toujours pacifiques, étaient jusque-là tolérées par les autorités.

Fer de lance de la guerre anticoloniale, la Kabylie est devenue le bastion des luttes pour les libertés dans l’Algérie indépendante. Dans le Hirak, le mouvement pacifique qui revendique la démocratie depuis février 2019, elle était en première ligne. Un casse-tête pour le pouvoir qui peine à neutraliser la région frondeuse d’autant plus que la vieille rengaine de « l’ennemi intérieur, relais des ennemis étrangers » n’opère plus.

En appelant à « l’autodétermination du peuple kabyle », le Maroc a sorti un joker pour d’éventuelles négociations : l’abandon du Polisario par l’Algérie contre celui du MAK, que Rabat soutient avec ostentation. Une offensive diplomatique bénie par Donald Trump, qui a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en contrepartie de la normalisation de ses relations avec Israël. Le Royaume chérifien fait ainsi coup double : conforter ses prétentions sur le territoire litigieux, et s’assurer du soutien militaire d’Israël, qui rêve d’en découdre avec l’Algérie. Au delà de ses dimensions bilatérales, cette montée de fièvre est aussi une réplique du conflit du Proche-Orient. Dans le « Front de la fermeté » opposé à toute « normalisation avec l’entité sioniste », seule l’Algérie a échappé à l’intervention étrangère et aux guerres ethniques et tribales, qui ont déstabilisé ses compagnons de lutte. Créé en 1977 avec l’Irak, la Syrie, la Libye et le Yemen du Sud, après le voyage surprise du président égyptien Anouar Sadate à Tel-Aviv, ce noyau dur du soutien à la cause palestinienne était encouragé par l’Union soviétique.

La tension pour mater les dissidents

Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, le rapport des forces dans le « Monde arabe » a évolué en faveur des monarchies (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis et Maroc) pro-occidentales, qui ont pactisé avec « l’ennemi sioniste ». En visite à Rabat en août dernier, Yaïr Lapid, ministre israélien des Affaires étrangères avait menacé l’Algérie, en présence de son homologue marocain, qui semblait sur un petit nuage. Et c’est sans surprise que l’on découvre de hauts responsables algériens parmi les cibles espionnées par le logiciel israélien Pegasus à partir du Maroc.

En jouant la carte kabyle, le royaume chérifien a, à son corps défendant, fait le jeu du régime algérien, pour qui cette « agression contre la souveraineté et l’unité nationales » est pain béni. Après avoir neutralisé le Hirak par une répression massive (plus de 230 prisonniers d’opinion recensés début novembre par le Comité national pour la libération des détenus) le pouvoir tient « l’objet du délit » contre la Kabylie et ses activistes, dernier foyer de dissidence. Un amendement, en juin dernier, du Code pénal considère comme « acte terroriste » le fait d' » œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels« . Lorsque la Kabylie a été réduite en cendres, en août dernier, par des « incendies criminels » selon la version officielle, le pouvoir a accusé le MAK et le Maroc d’être les pyromanes, sans apporter la moindre preuve. Des individus inconnus dans les milieux militants sont exhibés à la télévision pour incriminer le MAK et son président, Ferhat Mehenni, réfugié en France, et ciblé par un mandat d’arrêt international. Commencent alors les arrestations des indépendantistes, avant de s’étendre à tous les dissidents : acteurs politiques, défenseurs des droits de l’Homme, militants des droits culturels etc… Comme Hamou Boumedine, porte-parole du Rassemblement pour la Kabylie, qui prône un Etat fédéral des régions, ou Kamira Nait-Sid, présidente du Congrès mondial Amazigh, ou encore le journaliste Mohamed Mouloudj et l’écrivain berbère Abdennour Abdeslam, tous incarcérés pour « atteinte à l’unité nationale et… terrorisme ». Pour d’Amnesty International qui a dénoncé ces arrestations, « Il est clair que les autorités se servent de manière éhontée de la législation antiterroriste pour réduire au silence la dissidence ».

La guerre inévitable ?

Accrochée à une « diplomatie de principes » héritée de la guerre d’indépendance, l’Algérie peine à sortir de la nostalgie d’un passé révolu. Depuis quelques mois, des voix décomplexées, de plus en plus nombreuses, appellent au réalisme politique pour s’adapter aux changements, au nom des intérêts du pays.

Comme pour tempérer le discours belliqueux des va-t-en guerre, Ramtane Lamamra, ministre des Affaires étrangères a informé, jeudi, le secrétaire général de l’ONU de la mort de ses trois ressortissants et de « l’extrême gravité de l’acte de terrorisme d’Etat qu’aucune circonstance ne saurait justifier ». Une démarche visant à conforter le rôle de la diplomatie algérienne pour la paix dans la région, notamment au Mali et en Libye. Si le régime algérien peut tirer profit de la tension pour mater la contestation interne et retrouver son équilibre, l’issue d’une guerre, même de courte durée, reste incertaine.

Tel n’est pas le cas du Maroc. Dopé par ses récents succès diplomatiques et l’appui militaire d’Israël, il semble tenté par l’aventure guerrière pour conforter sa souveraineté de fait accompli sur le Sahara Occidental.

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