Mohamed Mbougar Sarr, Sénégalais de 31 ans, vient de recevoir le prestigieux prix Goncourt pour son roman La plus secrète mémoire des hommes, une grande première pour un roman venu d’Afrique subsaharienne.
La joie de plonger dans son livre est triple : celle de déguster un récit d’exception à la langue chatoyante ; celle de découvrir un auteur confirmé, qui a déjà inscrit quatre récits dans sa constellation personnelle** et celle de redécouvrir un auteur injustement oublié, le Malien Yambo Ouologuem*, à qui le jeune écrivain sénégalais dédie son quatrième manuscrit.
Dans son récit, écrit en partie à la première personne mais dans lequel résonnent des voix multiples, il y a tout d’abord, une langue à la fois érudite et ludique, qui se joue des expressions consacrées et se moque gentiment des apprentis écrivains. Ceux qui croient, à tort, que « la littérature corrige la vie ou la complète ou la remplace ». Alors que comme, le rappelle une célèbre auteure croisée dans ces pages, « on ne peut pas vivre l’instant et l’écrire en même temps ». Pourtant chaque mot, chaque ligne, chaque phrase rend un vibrant hommage à la force des histoires dans nos vies.
Se lançant à la recherche d’un manuscrit perdu, Mohamed Mbougar Sarr compose une entêtante ode à la littérature et à son pouvoir ensorcelant sur le coeur humain. Sans surprise, c’est sa propre fascination qu’il trahit dans ce roman où il se promène sous les traits de Diégane Latyr Faye, jeune auteur parti en quête du manuscrit perdu de celui que l’on surnomma le Rimbaud nègre, le mystérieux T.C. Elimane, auteur du Labyrinthe de l’inhumain. Un nom et une oeuvre sous lesquels se cache l’impitoyable destin de l’écrivain Yambo Ouologuem, tristement réel quant à lui.
En se plongeant dans La plus secrète mémoire des hommes on peut faire mentir deux fois l’adage qui veut que nul n’est prophète dans son pays et que les écrivains africains sont salués à Paris mais très peu lus en dehors d’Europe. L’occasion de briser ce « coup du sort » qui a fait du Labyrinthe de l’inhumain, et de tant d’autres ouvrages nés en terre africaine, un « livre-fantôme dont l’auteur semblait n’avoir été qu’un craquement d’allumette dans la profonde nuit littéraire. »
Le labyrinthe de l’inhumain, souligne Mohamed Mbougar Sarr dans les premières pages de son livre, « appartenait à l’autre histoire de la littérature (qui est peut-être la vraie histoire de la littérature) : celle des livres perdus dans un couloir du temps, pas même maudits, mais simplement oubliés et dont les cadavres, les ossements, les solitudes jonchent le sol de prisons sans geôliers, balisent d’infinies et silencieuses pistes gelées. »
Alors que la rentrée littéraire fait rage et que tant d’ouvrages viennent s’échouer sur les tables des libraires, sonder La plus secrète mémoire des hommes, c’est lutter contre le silence, l’ensevelissement et l’extension de la nuit littéraire… trop souvent observés en Afrique.
Karin Tshidimba
>> La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, Ed. Philippe Rey / Jimsaan, 460 pp., env. 22 €.
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* Né le 22 août 1940, Yambo Ouologuem est un écrivain malien, auteur du livre controversé Le devoir de violence, qui reçut le prix Renaudot en 1968. Encensé par la critique, il fut ensuite délaissé et accusé de plagiat.
** Né en 1990 au Sénégal, Mohamed Mbougar Sarr a publié trois romans : Terre ceinte (Présence africaine, 2015, prix Ahmadou Kourouma et Grand Prix du roman métis) ; Silence du Choeur (Présence africaine, 2017, prix Littérature-Monde – Etonnants voyageurs 2018) ; De purs hommes (Philippe Rey / Jimsaan, 2018)