Par Marie-France Cros.
Les habitants de Bukavu se sont éveillés cette nuit au son de coups de feu. Vers minuit, des rebelles encore mal identifiés ont attaqué un dépôt d’armes des FARDC (armée congolaise) près du centre-ville. Dans la matinée, l’armée congolaise a apparemment pris le dessus. Le gouverneur du Sud Kivu, Théo Ngwabidje, a indiqué qu’il y avait eu 9 morts, dont 6 assaillants et 3 militaires, et 36 attaquants prisonniers. Cela permettra-t-il d’en savoir plus sur les auteurs de cette spectaculaire incursion armée, sur l’identité desquels règne la confusion?
Selon deux sources à Bukavu de La Libre Afrique.be, les assaillants ont attaqué un dépôt d’armes des FARDC près du centre-ville, « au niveau de TP ». Ils se sont ensuite déplacés vers le quartier général de la Région militaire, à Ibanda, au centre-ville.
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Place de l’indépendance, ils ont mis en berne tous les drapeaux du Congo qui flottent habituellement sur cette place centrale; ces bannières seront rétablies dans la matinée par les forces loyalistes. Les assaillants ont hissé leur propre drapeau dans plusieurs endroits de la ville, portant un grand « ACN » rouge sur fond jaune au nom de « Action pour un Congo nouveau ». Curieusement, il s’agit du drapeau et du parti d’un politicien du Nord-Kivu, Célestin Vunabandi, qui en est le président national depuis février dernier; M. Vunabandi a été ministre de Joseph Kabila entre 2012 et 2014.
Premières captures épargnées
Selon une de nos sources, les présumés rebelles ont rencontré dans la nuit plusieurs militaires, qu’ils ont fait agenouiller pour les délester de leur arme, sans les abattre. Ils se déplaçaient en ville avec des mégaphones, se présentant en swahili – la langue régionale – comme des « wazalendo » (patriotes) et invitant la population à sortir des maisons pour les rejoindre. Ils assuraient mener un combat contre la mauvaise gouvernance du président Félix Tshisekedi, soulignant que les fonctionnaires n’étaient pas payés et que les parents avaient du mal à envoyer leurs enfants à l’école à cause de la crise économique. Une partie de la population les a rejoints pour les soutenir, montrent des images circulant sur les réseaux sociaux.
Vers six heures du matin, des heurts entre assaillants et militaires ont commencé. Les militaires ont apparemment repoussé les présumés rebelles vers le sud de la ville, du côté de l’Institut supérieur pédagogique (ISP), du quartier Panzi, qui abrite l’hôpital du Dr Mukwege – actuellement soigné en Belgique – et dans les collines qui surplombent Panzi. Certains sont signalés à Cidodobo, un village sur la route de Walungu, à une vingtaine de km de Bukavu.
Il y a une semaine, des étudiants de l’université de Bukavu avaient capturé trois hommes armés dans les taillis autour de leur établissement; ils avaient avoué avoir pour mission de préparer la prise de Bukavu.

Qui sont les assaillants?
On dispose actuellement de peu de renseignements sur les assaillants. Le général Bob Kilubi, chef de la Région militaire, a mis en cause un nouveau groupe armé, la Coalition des patriotes congolais pour l’application de l’article 64 (CPCA-A64). Cet article 64 est celui de la Constitution selon lequel « tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution ». Félix Tshisekedi a violé la Constitution à plusieurs reprises, après être arrivé à la Présidence en janvier 2019 à l’issue d’élections frauduleuses.
Dans la journée, a commencé à circuler sur les réseaux internet une « déclaration » de ce CPCA-A64, qui se présente comme une coalition de groupes armés mais n’en cite que deux , le NDC-R – soit Nduma Defense du Congo., connu comme « Maï Maï Sheka » , une milice armée d’ethnie Nyanga, du Nord-Kivu – et l’APCLS- soit Alliance des Patriotes pour un Congo libre et souverain, du Masisi, au Nord-Kivu. Pourquoi ces milices du Nord-Kivu apparaissent-elles soudain au Sud-Kivu? Est-ce parce que cette dernière province n’est pas, comme la première, sous état d’urgence et gouvernement militaire?
L’expulsion de Kabila, la démission de Tshisekedi
La déclaration du CPCA-A64 est datée du 7 octobre dernier à Bukavu et signée par le Général-Major Mukono Kazinguvu Roger Hondo, le Mwami (roi) Jean Mubake Mwanankuba, l' »apôtre » Mbaruku Lufufiyukwa et Juvénal Mufungizi. Elle ne revendique pas l’attaque de ce mercredi mais annonce « des actions spécifiques et ciblées dans les provinces de l’Ituri, Nord et Sud Kivu ».
En 29 pages, elle annonce le programme politique du CPCA-A64 quand il sera au pouvoir, notamment couper les relations diplomatiques avec le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, voisins du Congo à l’est de celui-ci; « saisir la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg » pour qu’elle juge « tous ceux » qui ont « violé les droits de l’Homme au Congo »; faire partir les forces onusiennes de la Monusco; rétablir la Loi Bakajika, qui attribue sol et sous-sol à l’Etat; annuler onze accords de paix signés par Kinshasa. Le texte exige « le départ immédiat » du pays de l’ex-président Joseph Kabila et des « multinationales », dont les travailleurs, considérés comme des « mercenaires » « risquent tous la peine capitale » une fois le CPCA-A64 au pouvoir.
Il dénonce en outre la « caporalisation des institutions » du Congo « au service d’un individu, M. Félix Tshisekedi », à qui il est reproché de s’allier aux « pays agresseurs du Congo » et dont la « démission » est exigée.
Cette confusion suscite des questions. D’autant qu’au même moment circule sur les réseaux sociaux une vidéo appelant “officiers et soldats” de l’armée congolaise à “prendre leurs responsabilités” comme l’ont fait les militaires “au Mali et en Guinée”, où ils ont pris le pouvoir.