Analyse par Marie-France Cros.
C’est une large désapprobation internationale qui a accueilli, lundi, le coup d’Etat militaire perprétré avant l’aube par l’armée, qui était supposée partager le pouvoir avec les civils depuis 2019. La plupart des ministres et le Premier ministre civils ont été arrêtés. Les institutions sont suspendues et les préfets de régions limogés, a annoncé à la télévision le général Abdel Fattah al-Burhane. L’armée a tiré à balles réelles contre la population qui, sortie en grand nombre dans les rues de Khartoum et Omdurman, la ville jumelle sur l’autre rive du Nil, réclamait un pouvoir civil.
Après trente ans de dictature, le général Omar al-Béchir avait été renversé en août 2019 à l’issue de cinq mois de courageuses protestations de la société civile, lorsqu’en dernière minute l’armée avait arrêté son chef et s’était ralliée aux manifestants.
Des observateurs avaient, à l’époque, souligné qu’elle agissait sans doute ainsi pour préserver ses intérêts économiques – puissants après trois décennies de dictature militaire – et politiques. Formellement, cependant, un Conseil de transition avait été formé, réunissant militaires et représentants de la société civile sous l’autorité du général Abdel Fattah al-Burhane, et un accord de partage du pouvoir avait été signé, prévoyant l’avènement d’un gouvernement civil et d’un parlement. La transition, prévue pour durer trois ans, avait ensuite été rallongée d’un an.
Les militaires gardent l’essentiel du pouvoir
Plus de deux ans après cet accord, force est de constater que l’essentiel du pouvoir reste aux mains des militaires. Alors que ces derniers contrôlent largement les ressources économiques du pays, celui-ci n’a toujours pas d’assemblée législative, politiques et militaires s’étant bien gardés de travailler à ce qui reviendrait à une perte progressive de leurs pouvoirs. A ce jeu, le général Abdel Fattah al-Burhane a été plus habile que ses rivaux civils puisque c’est largement le Premier ministre civil, Abdallah Hamdok, qui est rendu responsable de la crise économique.
Celle-ci est due à trois décennies de mauvaise gestion sous Béchir, aux sanctions américaines décrétées contre son régime et, dernièrement, aux mesures d’austérité imposées par le FMI (Fonds monétaire international) pour alléger la dette du Soudan: suppression des subventions sur les carburants et introduction d’un taux de change flottant, des mesures qui affectent directement le niveau de vie de la population, qui fait face à une inflation de près de 400%.
Le blocage de Port-Soudan
A cela s’ajoute le blocage, depuis le 17 septembre, du principal port du pays, Port-Soudan, situé à l’est du pays qui connaît une révolte de sa principale composante ethnique, la coalition des tribus Beja. Celles-ci vivent depuis des milliers d’années dans cette région, qui est le grenier du pays et recèle 60% de ses réserves d’or, mais chez lesquelles le taux de pauvreté atteint 54%, contre 36% au niveau national.
Les Bejas rejettent un accord de paix signé par le Conseil de transition avec cinq groupes rebelles du pays en octobre 2020, estimant que la délégation rebelle de l’est ne les représentait pas et que le texte ne leur accorde pas assez d’avantages pour compenser leur marginalisation depuis l’indépendance (1956).
Sit-in contre manifestants
Ces difficultés ont accentué les tensions au sein du Conseil de transition. Après un”coup d’Etat” raté (et peu éclairci) en septembre, l’armée a appuyé l’organisation à Khartoum d’un sit-in d’une semaine de centaines de protestataires réclamant un “gouvernement militaire” pour mettre fin à l’échec du Conseil de transition. Elle a reçu l’appui de deux autorités civiles, le ministre des Finances Jibril Ibrahim et le gouverneur du Darfour Minni Minawi, montrant le camp civil divisé.
En face, les pro-civils ont réuni, eux, jeudi dernier, des dizaines de milliers de protestataires réclamant un transfert du pouvoir aux civils. Il n’a fallu que trois jours au général al-Burhane pour trouver la parade et jeter le masque.