Retour devant les tribunaux pour le dossier de l’assassinat Floribert Chebeya et de son assistant Fidèle Bazana le 1er juin 2010.
Le 22 septembre dernier, la justice militaire congolaise avait été convoquée pour se pencher sur l’appel interjeté par deux condamnés en première instance dans le procès pour le meurtre des deux hommes : le major Christian Ngoy et le commissaire adjoint Jacques Mugabo. L’audience publique, qui s’est tenue à Kinshasa, à la prison militaire de Ndolo, avait été convoquée la veille par la Haute cour militaire.
Une audience qui se sera terminée prématurément, les deux accusés réclamant en swahili, langue qu’ils veulent utiliser devant la cour, de pouvoir être assistés par un avocat. L’affaire a été donc été renvoyée à ce mercredi 6 octobre. Pour les parties civiles, ce retour à la case tribunal est un espoir de voir enfin les vrais commanditaires être renvoyés devant les juges.
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Au premier rang de ces commanditaires potentiels du double crime, le général John Numbi, désormais officiellement en fuite (certains pensent l’avoir repéré au Zimbabwe, tandis que d’autres l’auraient vu dans les Emirats) et le général Zelwa Katanga, alias Djadjidja, derrière les barreaux à Kinshasa depuis le 4 juin dernier. Ces deux noms sont dans toutes les têtes. Car les deux accusés qui se retrouveront devant le jeudi ce mercredi n’ont pas grand-chose à révéler qu’on ne sache déjà sur le modus operandi de ce double crime. Tout ou presque a été dit et depuis des années. Depuis que le major Paul Mwilambwe, autre condamné à mort dans ce dossier, a osé parler, expliquer le modus operandi des faits de ce 1er juin fatidique. C’est lui qui le premier a cité le nom de Numbi. Lui qui a expliqué que Floribert Chebeya s’était rendu au siège de la police à l’invitation de John Numbi. Lui qui a expliqué comment les hommes du bataillon Simba, sous les ordres de Christian Ngoy ont assassiné Floribert Chebeya et Fidèle Bazana. Jamais ses propos n’ont été démentis. Mieux, cet été, trois acteurs de ce double meurtre ont fui la RDC, tous les trois ont confirmé les déclarations de Mwilambwe, ont reconnu leur implication et innocenté le major.
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Les faits sont donc largement connus. L’intérêt de ce procès réside ailleurs, dans le fait que pour la première fois Christian Ngoy, arrêté à Lubumbashi le 3 septembre 2020, et Jacques Mugabo, arrêté le 17 février dernier, condamnés tous les deux à mort par contumace, pourront s’exprimer devant les juges, pourront se défendre des accusations portées contre eux et peut-être révéler les noms des commanditaires.
Numbi et Kabila
Le nom du général Numbi est cité dans ce dossier depuis l’annonce ou presque de la découverte du corps de Floribert Chebeya (celui de Fidèle Bazana n’a jamais été retrouvé). Paul Mwilambwe, dans une démonstration des liens de subordination toute militaire était même allé plus loin en avançant le nom de Joseph Kabila. Mwilambwe refuse aujourd’hui d’être extradé en RDC pour témoigner dans cette affaire. « J’ai tout dit à de multiples reprises. Il y a des procès-verbaux officiels, je n’irai pas à Kinshasa. Pas pour l’instant. Les conditions pour assurer ma sécurité ne sont pas remplies », prévient-il.
Derrière le nom de Numbi, en effet, celui de son supérieur intéresse bien plus le pouvoir en place aujourd’hui à Kinshasa qui, s’il a « déboulonné » son prédécesseur, le perçoit toujours comme une menace et entend « faire plaisir à ses alliés occidentaux en faisant tomber définitivement Kabila », comme l’explique un observateur de la scène politique congolaise.
D’autres, pour corroborer cette piste, évoquent l’intérêt soudainement réveillé pour le dossier des experts des Nations Unies assassinés en mars 2017 (l‘Américain Michael Sharp et la Suédoise d’origine chilienne Zaida Catalan, ainsi que leurs quatre accompagnateurs congolais) au Kasaï dans le dossier de la rébellion Kamwina Nsapu.
Le 16 septembre dernier, l’association des victimes des conflits Kamuina Nsapu du grand Kasaï (AVGK) a porté plainte contre Evariste Boshab, Emmanuel Shadary (deux anciens ministres de l’Intérieur au moment des faits), Kalev Mutond (ancien patron du renseignement) et … Joseph Kabila (chef de l’Etat et des armées),
Quatre jours plus tard, Sosthène Kambidi, un journaliste collaborant notamment pour RFI ou AFP dans le Kasaï était interpellé à Kinshasa et transféré à Kananga. La justice s’intéresse à la vidéo de l’exécution des experts qu’il s’est rapidement procurée. Ici aussi le nom de Kabila est cité.
L’assassinat médiatisé d’un défenseur des droits de l’homme et le massacre de deux jeunes experts internationaux sont deux dossiers qui planent dangereusement au-dessus de la tête de l’ancien président. L’actuel locataire du pouvoir en place à Kinshasa a largement déçu ses supporters, même les plus motivés. La situation humanitaire est catastrophique, l’économie exsangue et le premier cercle du pouvoir voit de plus en plus son nom associé à des réseaux dignes de la mafia. Dans ce contexte, et vu le temps qu’il lui reste s’il veut respecter le chronogramme des prochaines élections (comme demandé par les Etats-Unis), le pouvoir doit cibler les symboles qui frapperont les esprits et lui offriront une forme de virginité retrouvée. Dans ce contexte, la cible est clairement identifiée.