RDCongo: le « mégacontrat chinois » étrillé par ses évaluateurs

RDCongo: le « mégacontrat chinois » étrillé par ses évaluateurs

Par Marie-France Cros.

La conclusion d’ingénieurs chargés d’évaluer le « mégacontrat chinois » signé en avril 2008 – le fameux « contrat du siècle » d’échange de produits miniers congolais contre des infrastructures  – est sans appel: l’Etat congolais doit en dénoncer “le caractère léonin” au profit des Chinois et le renégocier.

Le 7 décembre 2007, La Libre Belgique avait révélé le contenu du protocole d’accord signé le 17 septembre précédent à Kinshasa,  par le ministre congolais des Intrastructures, Travaux Publics et Reconstruction du gouvernement Gizenga, Pierre Lumbi, et par le représentant d’un groupement d’entreprises chinoises (Exim Bank, China Railway et Synohydro), Li Changjin. Il prévoyait le financement, par la partie chinoise, d’infrastructures au Congo “en contrepartie de l’exploitation des ressources naturelles” congolaises, et cela pour “trente ans”.

L’accord avait été signé le 22 avril 2008 et le montant initial de 9 milliards de dollars ramené à 6 milliards en 2009.

La branche congolaise de l’ITIE (Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives) a commandé une étude pour évaluer ce “mégacontrat”. La Libre Afrique.be a eu accès au rapport intermédiaire de cette étude, daté de ce mois de septembre, long de 171 pages et signé par un ingénieur civil métallurgiste et un ingénieur civil des constructions.

“Un nain” a été créé

Les deux ingénieurs comparent “ce qui a été réalisé” dans le cadre de ce contrat “à ce qu’il  avait été convenu de réaliser”. Le rapport rappelle que l’accord de 2008 porte sur deux projets “indissociables”, une co-entreprise (joint venture) minière sino-congolaise destinée à gagner de l’argent, d’un côté, et la construction d’infrastructures au bénéfice du Congo, financées par la joint venture, de l’autre.

Cette dernière devait créer un projet dans la filière cuivre-cobalt “d’une capacité de 400 000 T de cuivre/an”; des gisements estimés à 10 millions de T de cuivre et d’une “espérance de vie de 25 ans”, avaient été octroyés dans ce but à la co-entreprise, Sicomines. Or, en 13 ans, notent les ingénieurs, cette société a été créée, avec une capacité de 90 T de cathodes de cuivre “extensible à 250 000 T” – soit “un nain” par rapport aux 400 000 T convenues.

Artifice pour contourner le fisc congolais

Le rapport note que l’explication chinoise pour expliquer ce peu de résultats – l’insuffisance des réserves octroyées à la Sicomines par l’Etat congolais – est “fallacieuse”, d’autant que l’étude de faisabilité du cabinet chinois China Enfi était “partisane, incomplète et inachevée, et par conséquent non crédible”. Le consultant a, en conséquent, appelé la partie congolaise “à rejeter cette étude sans détour” et à “faire appel à un cabinet indépendant pour restaurer le potentiel géologique octroyé en patrimoine à Sicomines”, étude à mettre “normalement à la charge” de Sicomines.

Cette dernière devait servir à financer des infrastructures au bénéfice du Congo. Or, l’Avenant n°4 (“apparemment resté secret”), “qui est le dernier dispositif juridique qui règle la question de la clé de répartition des profits de Sicomines, a été jugé comme un artifice visant à confisquer, à la source, les revenus fiscaux de l’Etat congolais”.

Accord léonin et usurpation de statut

Le consultant apelle donc “à sa révocation à brève échéance et au retour à l’Avenant n°3”. “Dans la foulée, le consultant appelle à la dissolution pure et simple de Sicohydro” une société créée en cours de route et appartenant à 75% à la Sicomines, “d’abord pour son caractère léonin et ensuite pour usurpation du statut de représentant de l’Etat congolais reconnu indûment à l’un de ses associés”. Les 25% restants appartiennent en effet à la Gécamines et à la Snel, entreprises de l’Etat congolais, ainsi qu’à Congo Management qui n’est pas répertoriée dans les sociétés d’Etat congolaises, soulignent les ingénieurs. Elle s’est cependant vu octroyer “sans contrepartie” le site de Busanga, dont “l’usufruitier historique” est “la Gécamines”.

Le rapport intermédiaire note, en outre, que la liste des 43 projets d’infrastructures réalisés “est loin de ressembler à la liste des travaux convenus de commun accord entre les parties”. Sur ces 43 projets, seuls “15” sont reconnus éligibles, les 28 autres étant “sans lien avec les priorités des populations bénéficiaires et sélectionnés le plus souvent sur base de critères népotiques pour servir de vitrine politique dans les fiefs électoraux de leurs promoteurs”. Le texte déplore aussi  la “cacophonie dans les déclarations des intervenants” au sujet des sommes dépensées pour ces 43 projets, allant de 802 millions à 982 millions de dollars.

Et le consultant de recommander “la dénonciation par l’Etat congolais du caractère léonin de la joint venture du 22 avril 2008 et le retour à la table de négociation des sociétéaires de Sicomines en vue de la restructuration du capital social de l’entreprise”.

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