Prostitution africaine en Europe: une étude à Bruxelles

Prostitution africaine en Europe: une étude à Bruxelles

La commune la plus peuplée de l’agglomération de Bruxelles, Schaerbeek, a présenté mercredi à des acteurs de terrain, des riverains et commerçants, une étude ethnographique de l’université de Gand sur la prostitution des femmes subsahariennes dans le quartier « rose ».

Cette étude avait été commandée à la suite du meurtre d’Eunice Osayande, une Nigériane de 23 ans tuée « sauvagement » à coups de poignard en juin 2018, rue Linné, par un mineur de 17 ans bien connu de la police et du tribunal de la jeunesse pour des vols avec violence. Ce dernier s’était cependant dessaisi de son cas et le jeune homme devait être jugé par la cour d’assises de Bruxelles, au début de ce mois; le procès a cependant – fait exceptionnel – dû être reporté, faute d’un nombre suffisant de jurés masculins.

Une rue à son nom

L’accusé avait pris la fuite après les faits mais avait pu être identifié grâce à des cameras de surveillance placées dans le quartier et à des empreintes digitales. Arrêté, il avait changé plusieurs fois de version avant de reconnaître le meurtre, survenu au cours d’une dispute avec la prostituée, avec laquelle la relation tarifée s’était mal passée et qui le pressait de se dépêcher.

Ce meurtre avait suscité l’indignation et une marche silencieuse de quelque 150 personnes avait eu lieu,  dont une quarantaine de prostituées nigérianes, pour réclamer plus de protection policière dans les rues de Saint-Josse-ten-Noode (la commune voisine, qui partage ce quartier « rose ») et Schaerbeek où elles travaillent, mais aussi un véritable statut pour leur profession.

Cette semaine, la ville de Bruxelles a annoncé que la jeune Nigériane aura une rue à son nom pour « attirer une attention permanente sur toutes les femmes oubliées victimes de traite humaine, de violences sexuelles et de féminicides »

Nigérianes et Ghanéennes

« Cela nous intéressait d’avoir une vue extérieure d’universitaires et surtout de pouvoir entendre des témoignages de ces femmes », explique la bourgmestre faisant fonction de Schaerbeek, Cécile Jodogne, en évoquant l’étude.

Les chercheuses ont écouté 38 femmes majeures, dont 29 originaires du Nigeria, très nombreuses dans ce quartier, et 8 du Ghana. Les plus âgées (douze avaient plus de 45 ans) travaillent de jour et possèdent un statut de résidence en Belgique. Parmi les trentenaires, elles sont nombreuses à avoir été victimes de la traite et à avoir vécu dans un autre pays européen avant d’échouer à Bruxelles. Les plus jeunes travaillent la nuit et sont plus susceptibles d’être victimes de la traite aujourd’hui.

Cette prostitution subsaharienne a pris son essor au début des années 2000 et a remis en cause le principe d’une femme par « carrée » (chambre où travaille la prostituée) avec des partages ou sous-locations des espaces.

Majoritairement d’Edo

La majorité des Nigérianes du quartier sont originaires de l’État d’Edo, considéré comme le centre de la traite des êtres humains dans leur pays. Plusieurs ont reconnu être arrivées en Europe de manière irrégulière, via des réseaux, et avoir remboursé leurs « dettes » aux trafiquants.

Des femmes d’Edo de la première génération sont devenues des maquerelles. « Née d’un geste bienveillant visant à faciliter le voyage des proches en versant une avance d’argent, cette pratique a progressivement pris la forme d’une activité lucrative et d’exploitation, avec des bénéfices énormes », selon les chercheuses.

Elles ont remarqué que des femmes dans les 16 à 20 ans, qui ont refusé de participer à la recherche, semblaient effrayées et étroitement surveillées.

Beaucoup de violence

Les prostituées entendues racontent être confrontées à beaucoup de violences, surtout la nuit : vols, coups, blessures laissant des cicatrices ou imposition de rapports sexuels sans préservatifs. Beaucoup ont du mal à accéder aux soins de santé, faute de papiers en règle.

Étant donné leurs réticences à appeler la police faute de papiers en règle et, pour certaines, leur incapacité à le faire en raison de la barrière de la langue, elles espèrent un renforcement des patrouilles de police dans les rues du quartier où elles exercent leur profession, afin d’avoir une réaction rapide en cas d’agression.

Elles parlent aussi d’attaques à caractère discriminatoire de la part de jeunes, attaques qui restent impunies et qui engendrent un sentiment de « ne pas être la bienvenue ». Ce sentiment est renforcé par l’aspect délabré du quartier.

Selon les observations, ces femmes mènent plutôt des vies isolées et repliées sur leurs communautés.

Inquiétudes des riverains

« Après la réception de l’étude il y a un peu plus d’un an, malgré le Covid, on a organisé des rencontres entre la police locale et des acteurs de terrain pour réfléchir à la manière d’améliorer les interventions et contacts », a indiqué Cécile Jodogne.

« En tant que bourgmestre, je suis aussi le réceptacle des inquiétudes de riverains, qui partagent ce sentiment d’insécurité, ce malaise lié à la propreté, aux incivilités, aux tensions… Un groupe de travail rassemble des intervenants communaux, policiers et riverains. Les interventions des communes sont limitées à une gestion pragmatique de la prostitution, au maintien de l’ordre public. Sur la problématique des migrants et de la traite, nous n’avons pas prise ».

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