Entretien Hubert Leclercq
Monsieur Lumumba, vous êtes l’un des porte-parole de la Dynamique Congo2060. Quel est le but de cette dynamique ? Qui regroupe-t-elle ? Comment a-t-elle vu le jour ?
La Dynamique Congo 2060 est un think tank qui a pour but de rassembler les intelligences et énergies suffisantes devant travailler pour un Congo émergent à l’horizon 2060. Elle regroupe plusieurs activistes, intellectuels et professionnels congolais. Bref, nous sommes un groupe de femmes et d’hommes congolais de tous horizons, vivant au pays et à l’étranger, unis par leur amour du pays et le désir de passer de l’indignation à l’action. Nous avons lancé cette dynamique ouverte à toute personne voulant contribuer au développement social et économique de la RDC et à remettre le pays sur une nouvelle trajectoire, après 60 ans de gâchis, de prédation et de médiocrité. Elle a vu le jour par le Manifeste du Citoyen (https://congo2060.org/manifeste/) publié le 30 juin 2020 lors des soixante ans de l’indépendance du pays.
Comment comptez-vous faire entendre votre voix ?
La configuration de notre plateforme porte le germe de la réceptivité de notre message. C’est l’avantage d’être des porte-voix d’un ensemble très large et représentatif aussi bien de la diversité congolaise que de l’essentiel des attentes actuelles de la population.
Nous n’avons donc plus qu’à mettre en avant notre volonté à faire avancer le débat, par des actions citoyennes, des réflexions pertinentes et des actions concrètes de changement dans plusieurs domaines (actions culturelles, sociales, scientifiques,…)
Vous êtes un lanceur d’alerte et vous connaissez particulièrement bien la question de la corruption en RDC. A-t-on une idée du coût annuel de la corruption pour les caisses de l’Etat ? En d’autres termes, a-t-on une idée du manque à gagner dû à la corruption pour les caisses de l’État ?
Le dernier rapport de l’APNAC-RDC (Réseau des parlementaires africains contre la corruption) avance le chiffre dépassant 7,9 milliards de dollars américains sous plusieurs formes à savoir l’opacité de la gestion des impôts, les détournements, la mafia, la spoliation, le maquillage des chiffres, les abus de pouvoir, la complaisance dans les transactions bancaires par la Banque Centrale du Congo, la fraude douanière, etc…Ce chiffre n’est pas exhaustif car plusieurs rapports évoquent une perte sèche de 15 milliards par an.
Le président Tshisekedi pourrait-il ne pas être au courant de cette immense corruption qui gangrène le pays ?
Il est le Président de la République Démocratique du Congo et la personne la mieux informée du pays d’autant plus que selon le même rapport, la Présidence de la République est impliquée à raison de 11,48% des cas relevés dans le rapport APNAC-RDC. Ce qui signifie en d’autres termes que la première institution du pays trempe dans des cas de corruption et fait perdre près de 800 millions de dollars américains à la République sans oublier le Parlement et le Gouvernement Central. A eux trois, ils avoisinent 50% du total de la corruption.
L’avènement de F. Tshisekedi à la place de Kabila a-t-elle changé les choses du point de vue de la corruption ou poursuit-on sur la même voie ?
Dans la communication de la volonté de changement, nous pouvons dire oui mais les faits démontrent autre chose. Nous préférons jusque-là relever les faits et proposer des solutions que juger les intentions. Le dernier rapport de Transparency international, celui de l’APNAC-RDC, les différents rapports des I’ONG nous inquiètent tout de même malgré toutes les bonnes intentions exprimées.
Dans la situation financière actuelle, sans l’aide de la communauté internationale, la RDC peut-elle survivre ?
La RDC est capable de survivre sans l’aide de la communauté internationale si le leadership est sérieux et si le train de vie de l’Etat est drastiquement revu à la baisse. Il n’est pas acceptable que plus de 60% des recettes et fonds collectés servent à entretenir les institutions publiques sans investissement dans les secteurs productifs (industrie, agriculture, élevage, production de biens de premières nécessités, innovations technologiques, etc…) gage de création de la valeur ajoutée et de la création d’emploi donc d’une consommation locale permanente.
Les élections en 2023 sont une obligation constitutionnelle
La Dynamique Congo60 rappelle son attachement à la démocratie, au respect de la Constitution et donc à la tenue d’élections inclusives et démocratiques. Vous pensez que le pouvoir actuel organisera les élections fin 2023 ?
Les élections en 2023 sont une obligation constitutionnelle et nous insistons sur leur inclusivité, sur le choix des animateurs crédibles à la Commission électorale et pour un processus transparent ne portant aucun germe de contestation. La population congolaise n’a pas sanctionné le régime précédent pour revivre les mêmes insuffisances pas l’entremise d’autres personnes;
Comment faire pour garantir la neutralité de la future Ceni ?
Il faut que chaque institution reste à sa place et fasse ce qui sera attendu d’elle. Il n’est pas normal qu’après Kabila, les mêmes pratiques d’intimidation continuent, nous espérons que les atermoiements actuels n’entameront pas la crédibilité future du processus qui se doit d’être inclusif et consensuel.
Pour la Ceni, on a le sentiment d’être dans un scénario identique à celui vécu sous Kabila. Avec un pouvoir qui semble déterminé à imposer sa structure, son équipe et son agenda ?
Ce serait regrettable d’arriver à ce résultat après que plusieurs vies humaines sont tombées pour arriver au changement. Il faut changer de logiciel pour faire de ce pays une puissance africaine, les slogans ne sont là que pour galvaniser les fanatiques, seuls les faits et les actions font avancer les lignes.
Comment faire pour éviter ce scénario ? Et comment faire pour avoir des élections en 2023 ?
La Dynamique Congo 2060 s’inscrit dans l’agenda citoyen de la LUCHA soutenu par plusieurs mouvements citoyens afin de faire pression sur toutes les personnes qui constitueraient un blocage à l’organisation des élections libres, crédibles, démocratiques et transparentes;
L’actualité politique congolaise, aujourd’hui, c’est aussi cette proposition de loi sur la congolité ? Cette loi est-elle une menace pour la stabilité nationale ?
Je parlerai plus de la loi sur nationalité car le terme « congolité » renvoyant aux mauvais souvenirs de l’ivoirité me met mal à l’aise. Elle énerve certaines dispositions de notre Constitution et les débats découlant de la loi tendent à favoriser la division et c’est ce qui nous amène à nous poser la question sur l’opportunité d’une telle démarche dès lors qu’elle n’apporte aucune réponse de fonds sur les vrais défis majeurs du pays que sont l’éradication de la pauvreté, l’instauration d’une justice équitable gage de la vraie lutte contre la corruption et la pacification de toute l’étendue du territoire national. Certes, la démocratie reconnaît la liberté d’opinion à chaque citoyen, il sied de rappeler qu’elle repose sur le respect des lois de la République, spécialement sa Constitution. Les propositions contenues dans ce projet de loi énervent certaines dispositions de la loi fondamentale du pays.
Le principe même universel des droits acquis semble éludé. Aux juristes de nous éclaircir. Tous les débats découlant de l’identification faciale des Congolais nous inquiètent et sur ce, nous ne pouvons pas apporter notre soutien à une loi qui va diviser les Congolais. Le patriotisme n’est pas génétique et tant que notre Administration, notre Armée et la Monnaie (piliers de l’Etat) seront défaillantes, nous serons toujours exposés.
Le Congo appartient à toutes les Congolaises, Congolais ainsi qu’à leur postérité. Il ne saurait y avoir des Congolais avec plus ou moins de droits que d’autres. Tel est le troisième postulat de Notre Manifeste pour un Nouveau Congo.
Cette loi peut-elle déboucher selon vous sur de vraies tensions dans le pays ?
Au-delà de la loi, notre constat sur les deux dernières années prouve à suffisance que les Congolais sont de plus en plus divisés à l’heure où nous avons besoin de nous unir pour relever les défis à venir. La pandémie de la COVID-19 nous a suffisamment prouvé que nous sommes tous humains et avons besoin de toutes les ressources nécessaires pour relever les grands défis. Notre pays doit donc construire sa force dans la diversité comme cela a toujours été le cas à travers notre histoire.
Une fois de plus, que peut faire une Dynamique comme la vôtre pour faire entendre sa voix sur cette question ?
Nous userons de toutes les voies légales afin d’éviter que certains Congolais – qui par certains débats frisant clairement l’intolérance – ne tombent dans la stigmatisation à cause de la couleur de leur peau.
Dans une votre prise de parole à Bruxelles, vous présentez cette proposition de loi comme une « distraction voulue ». Qu’entendez-vous par là ?
Au-delà du fait que certaines dispositions sont anticonstitutionnelles, nous insistons sur le fait que les vrais enjeux sont ailleurs. Allons nous gagner le pari de la réorganisation de l’Etat civil le lendemain du vote de cette loi, pensons-nous que les 27,3 millions de Congolais en insécurité alimentaire aiguë pourront désormais manger à leur faim et que la crise sécuritaire trouvera directement une solution ? Il est facile pour un pays post conflit comme le nôtre de jouer sur les émotions et les peurs du passé pour construire certaines idées mais il est triste de constater que les intelligences congolaises n’arrivent pas à se coaliser pour sortir le pays de tous les drames (corruption endémique, impunité, désordre, injustices sociales, pauvreté,…) que nous vivons malgré notre potentiel énorme. Seules les institutions fortes pourront garantir l’avènement d’un Congo fort et prospère qui saura se protéger et où toute trahison sera sévèrement condamné.