« Graves menaces »
Né dans une « grande famille d’artistes » (musiciens et danseurs), Lucas Katangila découvre la danse à l’âge de six ans. « Je jouais déjà des percussions ; je voyais tout le monde bouger et danser autour de moi, se souvient-il. Alors, je rentrais aussi dans le cercle pour danser. Là, je me sentais vivre. Ça me procurait de la joie, de l’espoir. Je m’exprimais à travers mon corps. C’est comme cela que j’ai pris mon envol ». Diplômé en électromécanique, « je n’avais pas envie de passer ma vie à réparer des bagnoles. Je savais que ma place était dans la danse, reprend-il. Je me souviens que ma mère m’objectait qu’il n’y a pas de danseur millionnaire. Mais moi, je danse pour une cause : je suis un messager, je suis la voix des sans voix. Quand je danse, je me sens libre ».
Mais son activisme et son militantisme lui valent de « graves menaces ». C’est le cœur lourd qu’il quitte la RDC. D’abord pour le Rwanda puis la Belgique où, grâce à ses talents de danseur, il intègre l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (section art et chorégraphie), et obtient ses papiers.
Résidence à la Balsamine
Danse africaine traditionnelle, hip hop, contemporain, Lucas Katangila nourrit ses chorégraphies de son vécu, de ses combats et de ses rêves. Après un premier solo, Ndoto (« Rêve »), remarqué et primé – il a remporté le Roel Vernier Prijs Award Belgium (Het Theater Festival) en 2020 -, il vient d’achever une semaine de résidence à la Balsamine avec une nouvelle création, Koti Ya Raïsi (ou La veste du président). Initialement programmé ces 2 et 3 avril, le spectacle n’est, pour l’heure, pas remis à la saison prochaine. L’occasion a donc été donnée au jeune danseur de le présenter vendredi dernier à la Balsamine devant un petit comité de professionnels, dans le strict respect des mesures sanitaires.
Souplesse et tensions
New York, Conseil de sécurité de l’Onu. Une voix énumère les exactions perpétrées en RDC au fil du temps. Autant de crimes décrits et compilés dans des rapports, mais demeurés impunis. « Nous avons soif de paix et de vérité », clame la voix, écho du peuple congolais. Vêtu de blanc, Lucas Katangila plonge ses mains dans une bassine et s’enduit du « sang » qui continue, chaque jour, de couler sur sa terre natale. Animal et puissant, son solo allie souplesse et tensions des mouvements, avec mesure et, parfois même retenue. Jusqu’au morceau final où jaillit toute la violence d’une région meurtrie, victime de la convoitise de ses richesses et d’intérêts géopolitiques.
« Au Congo, il y a une vraie course au pouvoir, estime Lucas Katangila. Chaque politicien porte une veste pour montrer son pouvoir et s’emparer d’une partie des richesses. C’est un solo très politique ». Il poursuit : « Je considère ma danse comme un livre que j’ai envie de donner à chaque personne que je ne connais pas, qui ne connaît peut-être pas le Congo ou qui ignore ce qui se passe à l’est du pays pour les aider à comprendre la situation en RDC ». Au-delà, « j’envisage mon œuvre de danseur et chorégraphe comme un pont entre l’Afrique et l’Europe ». Malgré les conflits raciaux, « je rêve de faire collaborer, d’unir artistiquement ces deux mondes ».
Lucas Katangila danse également pour des chorégraphes de renommée internationale. Il sera en tournée avec « 9 Forays » de Louise Vanneste et « East African Boléro » de Wesley Ruzibiza. Suivez toute son actualité via son compte Instagram (www.instagram.com/lucas_katangila/?hl=fr)