Par Marie-France Cros.
La video fait le tour des réseaux sociaux au Congo. Elle montre une réunion de l’UDPS dirigée par un meneur de jeu qui entame une prière. “Au nom du Père, Ya Tshitshi (feu Etienne Tshisekedi); du fils, Ya Fatshi (le président Félix Tshisekedi), et du Saint Esprit, le peuple d’abord” (slogan du chef de l’Etat). Après chaque nomination, il s’arrête, pour laisser l’assistance répéter, dans un choeur de messe. Au début de sa prière, le meneur de jeu a porté la main droite à son front, comme pour se signer; après, il n’ose plus (voir video n°1).
Il est vrai que jamais le culte de la personnalité n’a atteint de telles dimensions au Congo, même s’il n’est pas neuf au sein de l’UDPS. Sous Mobutu, son propagandiste Sakombi Inongo avait imaginé un “jingle” de présentation du journal télévisé du soir montrant le dictateur descendu des cieux, ce qui choquait beaucoup de Congolais et l’UDPS à l’époque.
Les élections de 2023
Cette vidéo circule alors que les relations sont très tendues entre ce parti et l’Eglise catholique, dont les décomptes parallèles – comme d’autres – lors des élections de décembre 2018 montrent qu’elles n’ont pas été gagnées par Félix Tshisekedi. Celui-ci est au pouvoir à l’issue d’un accord entre lui et son prédecesseur, Joseph Kabila, qu’il a aujourd’hui éjecté de l’attelage à deux qui a fonctionné deux ans. Les résultats détaillés de ces scrutins n’ont jamais été publiés.
L’hostilité des tshisekedistes est apparue au grand jour après la diffusion par la Conférence des évêques (Cenco), le 1er mars dernier, d’une déclaration regrettant la “régression” en matière de droits de l’Homme au Congo, recommandant au Président de veiller au “profil éthique des membres du prochain gouvernement” et appelant ce dernier à “tout mettre en oeuvre pour gagner le pari de l’organisation d’élections crédibles, transparentes et apaisées en 2023 et pas plus tard” – allusion aux retards accumulés par Joseph Kabila (qualifiés de “glissement”) pour ne pas procéder aux scrutins dus.
La Présidence a alors publié un communiqué virulent accusant les évêques catholiques d’”activisme insurrectionnel”, avant que ce texte soit invalidé, le lendemain, par le porte-parole de Félix Tshisekedi, parce qu’envoyé dans la “précipitation” et sans respecter “toutes les procédures pour être mis en ligne”.
https://afrique.lalibre.be/58764/rdcongo-il-y-a-de-leau-dans-le-gaz-entre-leglise-et-la-presidence/
“Le mandat du Président démarre maintenant”
Depuis, les appels à s’occuper sans tarder de préparer les élections de 2023 se sont multipliés, bien que la Présidence eut assuré, dans son communiqué “précipité”, que “le moindre soupçon de «glissement du mandat» n’a jamais effleuré l’esprit” de Félix Tshisekedi.
Pourtant, le 15 mars, sur Radio Top Congo, le président a.i. de son parti, l’UDPS, Jean-Marc Kabund-a-Kabund, a indiqué: “Nous sommes prêts pour les élections en 2023. Mais nous serons prêts à nous plier aux aléas et aux réalités politico-sanitaires auxquelles le pays fait face”. Le défenseur des droits de l’Homme Jean-Claude Katende avait immédiatement rappelé, pour s’en inquiéter, que c’était le même discours qu’avaient tenu les kabilistes pour justifier le retard (de deux ans) des élections: nous sommes prêts pour les élections; ce sont les autres qui ont peur des élections. Si le calendrier électoral glisse de quelques jours, le ciel ne va pas tomber sur la tête des Congolais.
Plus clair encore, Victor Wakwenda, président du directoire de l’UDPS, a déclaré dans une interview à Radio Okapi, le 16 mars: “Nous voulons convaincre la nouvelle majorité parlementaire (NDLR: maintenant pro-Tshisekedi) de valider le constat” que le Président “démarre un nouveau mandat” maintenant qu’il s’est libéré de Kabila, mettant ainsi “fin à un troisième mandat frauduleux” de son prédécesseur. “Nous ne voulons pas partager le bilan de ce Monsieur là”. Cela met “les compteurs à zéro”; comprendre: il faut reculer de deux ans les élections dues en 2023. Mais la Constitution l’interdit. Celle-ci “ne peut pas être au-dessus de l’intérêt du peuple”, a rétorqué Wakwenda, pour qui “ceux qui font la politique sont appelés à modifier les textes en fonction de l’intérêt du peuple”.
Ces incitations à imiter le tant décrié Kabila sont-elles un ballon d’essai? Ou les annonces d’une tendance de fond?
Campagne anti-catholique
Le 15 mars, à l’ouverture de la session ordinaire du parlement, le président de l’Assemblée nationale a donné la “priorité” à l’examen de modifications des lois électorale et sur la Ceni (Commission électorale nationale indépendante, qui joua un rôle essentiel dans la fraude de 2018).
Parallèlement, alors que l’on remarque sur les réseaux sociaux des messages incitant à “arrêter Ambongo”, cardinal et évêque de Kinshasa, accusant les évêques d’être “à la base du désordre” et invitant les Congolais à ne prier que dans des “églises du réveil” (voir video n°2), le Comité laïc de coordination (CLC), lié à l’Eglise, s’est indigné publiquement de la campagne contre celle-ci, dans un communiqué du 14 mars. “Il n’y a aucune raison que la question du délai des prochaines élections devienne un sujet tabou, au risque de finir par rendre suspecte cette réticence”.
Vidéo n°2: Des menaces contre les évêques
Et à leur tour, des groupes de chrétiens ont fait circuler sur internet des vidéos où ils rappellent à l’UDPS qu’il y a peu “vous rôdiez près des bureaux de la Cenco comme des chiens mouillés, la queue entre les pattes”. Et d’avertir: “Si vous osez encore insulter un évêque, vous aurez affaire à nous” (voir vidéo n°3).
Vidéo n°3: Des catholiques répliquent