Ngone Sarr est souvent en contact avec les prostitués clandestins.
Entretien Laurence Bertels ,envoyée spéciale au Sénégal
Son taxi s’est perdu. Ngone Sarr, présidente de l’association Aresco (Amicale des relais de santé communautaire arrive avec un retard qui, chez nous, pourrait être qualifié de considérable. Mais nous sommes à Dakar où l’heure sénégalaise est ce qu’elle est… Et puis, le sourire, la douceur et les couleurs de la coiffe et de la robe locales de notre interlocutrice pardonnent bien des attentes. Régulièrement en contact avec les populations fragilisées, elle accepte de nous rencontrer pour parler de cette prostitution déguisée qu’est le tourisme sexuel, un sujet très préoccupant au Sénégal. Son association s’occupe à la fois de sensibilisation auprès des populations via les programmes IEC (Information, éducation et communication) et CCC (Communication par le changement de comportement). L’association travaille aussi avec des marraines de quartiers, précieux relais pour toucher les populations visées comme les femmes enceintes ou en âge de procréer, les personnes atteintes par le virus du sida.
Dans le cadre d’une enquête réalisée dans le District Dakar Ouest, votre association a été en contact avec des professionnels du sexe, hommes ou femmes. Qu’a révélé cette enquête ?
Il s’agit de prostitués clandestins. Ils se rencontrent dans des boîtes, à la plage. Souvent les femmes disent qu’elles viennent pour vendre mais elles viennent pour autre chose. Il s’agit parfois de filles de 18 ou 19 ans qui semarient avec des hommes de 60, 70 ou 80 ans. Ou de jeunes hommes de 25 ans avec des femmes de 60 ou 70 ans. Ils disent qu’ils s’aiment mais en réalité, ils veulent partir en Europe. Parfois, quand ils ont leurs papiers, les jeunes hommes reviennent pour se marier avec des filles de leur âge.
Ce phénomène est-il en accroissement?
Oui. Nous avons réalisé une enquête démocratique sur la vulnérabilité face au virus du sida. Et cette enquête a révélé une extrême pauvreté. Voilà pourquoi la prostitution des hommes et des femmes est en accroissement. Comme les gens qui partent en Europe sur des pirogues. Au début, dans les années 19952000, on voyait surtout des jeunes filles avec des hommes européens plus âgés. Depuis l’an 2000, on voit plus de jeunes hommes sénégalais avec des femmes plus âgées.
Vous arrive-t-il d’en parler avec ces prostitués clandestins ?
On les sensibilise au fait qu’ils doivent se protéger. L’an dernier, on amené une grande campagne pour le port du préservatif. On s’est rendus dans les hôtels, on a informé les gens, on a laissé des lots de préservatifs dans les toilettes et on amené une campagne sur les plages.On les approche en groupe ou on leur parle individuellement. On privilégie aussi la mobilisation sociale via une troupe théâtrale.
Comment les aider à sortir d’une situation qui est certainement douloureuse ?
En essayant d’informer les clandestins. On les dirige vers des structures pour se protéger, avoir des papiers, se présenter à la visite médicale pour ne pas contaminer leurs partenaires. Ces femmes ne sont pas heureuses. Elles quittent leur famille pour venir gagner de l’argent ici. Elles sont sur la plage, vendent des petites statuettes ou autres, puis vont plus loin. L’autre jour, j’en ai rencontré une sur la plage, je lui ai donné un sandwich. À un moment donné, elle m’a demandé de garder son bagage. Elle avait un rendez-vous… Après elle s’est confiée à moi, m’a avoué que si elle en avait l’occasion, parfois, elle je prostituait. Je l’ai informée des risques de maladies et encouragée à rejoindre des associations.
Existe-t-il d’autres moyens de survie au Sénégal ?
Les travaux de bonne à demeure pour 30 ou 40 000 CFA (environ 50 euros). Elles restent un ou deux mois dans une maison puis découvrent la capitale et l’argent facile. Elles sont livrées à elles-mêmes. Elles cherchent des clients. La plupart du temps, ce sont des filles analphabètes. Les garçons ne sont pas allés à l’école, non plus. Ils se présentent comme des guides touristiques puis un jour, deviennent des gigolos, en faisant semblant d’être amoureux. Les femmes y croient. Même la femme la plus laide se trouve jolie lorsqu’elle se regarde dans le miroir. Elle ne sait pas qu’elle a vieilli. Et pour une femme de 75 ans, être désirée par un homme de 25 ans, c’est flatteur. D’autant que ce sont de beaux hommes, très soignés, bien habillés. Les jeunes femmes ont souvent un petit copain et lorsqu’elles sont installées en Europe, elles divorcent. Le jeune homme a également une femme ou une copine. Il la présente parfois comme une soeur ou une cousine mais lorsque l’Européenne découvre la vérité, elle ne veut plus partager. On assiste alors à de vrais drames.
Ces jeunes veulent-ils en sortir ?
Oui, parfois ils se confient à ce sujet mais ils recourent à la prostitution clandestine par besoin. J’ai connu une femme qui avait pu sortir du tourisme sexuel le jour où son fils a commencé à gagner sa vie et à l’aider. Il s’agit de femmes abandonnées, divorcées, célibataires. On ne les juge pas. Les jeunes hommes le font aussi par besoin. Et grâce à cet argent, ils nourrissent leur famille. Certains parents sont-même fiers de voir leur fils sortir avec une femme blanche.
Ngone Sarr, présidente de l’association Aresco (Amicale des relais de santé
communautaire)