RDC : Tensions entre Hutus et Nandes font craindre une explosion au Nord-Kivu

RDC : Tensions entre Hutus et Nandes font craindre une explosion au Nord-Kivu

Les tensions entre Hutus et Nandes ont atteint un point élevé au Nord-Kivu. Alors que plusieurs sources nous font part de leur crainte d’une explosion, d’autres évoquent une « manipulation » qui « ne prend pas ». Depuis une semaine, notait cependant l’agence APA jeudi dernier, les deux communautés en sont venues à se lancer mutuellement des ultimatums exigeant le départ de l’autre de la chefferie de Bwisha (Rutshuru, dominée par les Hutus).

Les deux plus nombreuses

Les deux ethnies sont rivales parce qu’elles sont les deux plus nombreuses du Nord-Kivu. Longtemps, cependant, elles se sont partagé le terrain – au détriment des autres ethnies – avec un gouverneur d’une ethnie et le président de l’assemblée provinciale de l’autre. Depuis fin 2015, cependant, les choses se sont envenimées, notamment après le lynchage d’un Hutu à Beni (territoire nande) pris comme bouc émissaire de la colère populaire contre les inconnus qui perpètrent dans cette région massacre sur massacre depuis octobre 2014 (plus d’un millier de victimes jusqu’à aujourd’hui). Deux femmes hutues ont subi le même sort à Butembo (territoire nande) en août 2016 pour la même raison. Le tout sur fond de multiplication des milices d’auto-défense tribale. « Les milices sont l’enjeu de marchandages en vue d’un positionnement politique », nous dit un habitant de Goma. « Elles ont TOUJOURS un contact avec un leader politique local ou à Kinshasa. Et, bien sûr, cela permet une réaffirmation tribalo-communautaire » de chaque groupe.

Il y a des Nandes en territoire dominé par les Hutus, comme à Rutshuru, et vice versa, depuis plusieurs dizaines d’années. Mais « comme les Chinois, les Nandes ne s’ouvrent pas facilement aux autres », nous dit un habitant de Goma appartenant à une troisième ethnie. « Leur coutume ne leur permet pas de céder des terres, donc ils trouvent toujours que les ventes de terre à des Hutus ne sont pas valables ». Ceux-ci se plaignent du manque de terres dans le Masisi (Nord-Kivu) et ont commencé à émigrer vers l’Ituri (province au nord du Nord-Kivu). Ils sont par ailleurs chassés de la région de Lubero (Nord-Kivu) par des Nandes, bien qu’ils y soient très minoritaires; en novembre dernier, ils y ont été victimes d’un massacre (une quarantaine de morts).

Car chacune des deux ethnies disposent de miliciens armés. Les Nandes reprochent aux Hutus congolais de profiter de la protection que leur offrent les FDLR (rebelles hutus rwandais issus des génocidaires), groupe armé le plus aguerri de la région, pour accroître leur présence territoriale; la montée de la tension, fin 2015, correspond d’ailleurs à un repli des FDLR, qui ont longtemps imposé leur domination sur des zones entières dans les deux Kivu. Il existe une milice de Hutus congolais, les Nyatura, mais une partie de ses hommes viennent des FDLR et ceux-ci ont parfois utilisé des Nyatura. Les Nandes ont leur propre groupe armé, les Mai Mai Kazembe. Tous commettent des massacres et autres exactions contre des civils de l’autre ethnie.

Achats massifs de terres

La tension s’est accrue avec la rumeur que des Hutus achetaient massivement des terres dans le nord du Nord-Kivu, appelé « le Grand Nord », que les Nandes considèrent comme leur terre. Depuis deux ans, les Hutus achèteraient aussi beaucoup de terrain en Ituri; il y a, en tout cas, une importante migration de familles hutues à la recherche de terres fertiles vers Irumu (Ituri). « Ils achètent aussi au Sud-Kivu, par milliers d’hectares. A Goma, on dit que ce sont de riches commerçants hutus qui financent ça », nous indique un Hunde.  « Nous avons donc peur qu’il y ait un projet de création d’un Hutuland. Les Hutus occupent déjà toute la zone montagneuse à la sortie de Goma vers Bukavu (Sud-Kivu) ».

De l’avis de plusieurs sources, le conflit est attisé par des leaders communautaires, qui se battent pour des postes politiques. Le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, est un Nande; le président de l’assemblée provinciale est un Hutu, Jules Hakizumwami Habimana. Leur entente appartient au passé et l’assemblée provinciale a été fermée 55 jours, jusqu’au 26 mai, sur décision du ministre national de l’Intérieur, après que les députés, majoritairement nandes, eurent déposé une motion de défiance contre leur président; le vote n’a donc pas pu avoir lieu.

Interdiction de déplacement

Après qu’un groupe de Hutus migrant vers l’Ituri eut été arrêté à Beni (Nord-Kivu) et renvoyés vers leur Masisi natal, le gouverneur de province a interdit, le 28 mai, les mouvements de populations « inconnues » allant du Masisi (à forte population hutue) vers l’Ituri voisin et a dénoncé l’instrumentalisation des migrants pour des visées politiques. Il a créé une commission mixte qui doit établir l’identité des migrants et leur lieu d’origine réel, laissant entendre que des Hutus rwandais pourraient en profiter pour s’installer illégalement au Congo.

Le député nande de Beni Grégoire Kiro, lui, n’hésite pas à affirmer que ces migrants sont des Rwandais – des FDLR et leurs familles – assurant qu’alors qu’il y a « entre 50 000 et 60 000 » migrants htutus en Ituri, on n’a « pas constaté le moindre dépeuplement massif du Masisi ». Il ajoute que les nouveaux arrivés ne parlent que kinyarwanda, pas swahili, « ce qui est curieux pour des gens qui habiteraient le Kivu », selon lui. Il affirme que la commission d’enquête parlementaire qui a investigué sur les massacres de Beni a établi « que parmi les assassins, il y avait des gens qui parlaient le kinyarwanda. C’est normal que la population se pose des questions sur ces migrants ».

D’autres sources soulignent cependant que les migrants sont bien Congolais et qu’il est, au contraire de ce qu’affirme M. Kiro, très courant que des habitants du Kivu ne parlent que leur langue maternelle et pas le swahili.

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