A Sotchi, la Russie se présente en protectrice de l’Afrique souveraine

A Sotchi, la Russie se présente en protectrice de l’Afrique souveraine

Par Paul Gogo, Correspondant à Moscou

En deux jours, le président russe a rencontré une quarantaine de chefs d’état africains et dessiné sa politique d’influence pour l’Afrique.

Mercredi, le président russe a ouvert ce forum Russie – Afrique en lançant un chiffre : 20 milliards de dollars, soit le montant des dettes africaines sur lesquelles la Russie a passé l’éponge ces dernier mois pour favoriser la reprise du dialogue avec ses « nouveaux » partenaires africains. C’est appuyé par le président égyptien Mohamed Al Sissi qu’il a accueilli et rencontré une quarantaine de présidents en deux jours à Sotchi, dans le sud de la Russie. Le marathon est impressionnant mais relève plus de l’image qu’autre chose. Si le Kremlin et ses entreprises (armes Kalashnikov, gaz et pétrole Gazprom, nucléaire, Rosatom en première ligne) ont fait le plein d’engagements et de bonnes intentions, aucune grande annonce n’a émergée à l’issue de l’événement. Si ce n’est que le président russe souhaite organiser une suite à l’événement, en Afrique, dans trois ans. Sur certains projets, les investisseurs russes ont visiblement encore besoin d’être convaincus.

Basses œuvres et souveraineté

Un sujet n’a quasiment pas été abordé en public durant le forum : L’armement et la « coopération militaire ». Ce sont pourtant sur ces domaines que la Russie s’appuie pour renouer contact avec l’Afrique. En Centrafrique, en Libye, au Soudan, la Russie serait aussi présente officiellement qu’officieusement. Les fameux « instructeurs militaires » russes seraient parfois des membres du groupe de mercenaires privé Wagner. Vus dans le Donbass ukrainien, en Syrie, soupçonnés d’avoir un temps été envoyés au Venezuela, ces mercenaires assureraient la formation de soldats dans plusieurs pays d’Afrique centrale et seraient envoyés en soutien de certains gouvernements pour influer dans des situations politiques.

Au delà des bonnes intentions et des collaborations économiques médiatisées, le vrai retour du Kremlin en Afrique semble se faire par la petite porte en s’appuyant sur des hommes de l’ombre. Il y a Evgueni Prigojine, le « cuisinier de Poutine », patron de Wagner  en charge des basses œuvres du Kremlin en Afrique mais aussi un autre personnage qui a fait une apparition inattendue mercredi. D’ordinaire discret, l’homme d’affaires orthodoxe, conservateur, Konstantin Malofeev avait un énorme stand dans l’entrée du forum. Réputé proche de Vladimir Poutine, celui qui avait déjà joué un rôle de l’ombre en Ukraine lors de l’annexion de la Crimée puis la guerre du Donbass a un projet pour l’Afrique. « Agence internationale pour un développement souverain », « une agence de conseil politique, économique médiatique ayant pour objectif d’aider les africains à résister à la pression américaine », explique brièvement l’attachée de presse de cet homme discret. Sans que l’on sache si cette initiative a quoi que ce soit d’officielle, Malofeev veut racheter des dettes africaines pour « sortir l’Afrique du complot américain qui a toujours visé à l’affaiblir ».

Stratégie d’influence

Jeudi, les discours ont évolué vers une critique de l’Europe opposée à une Russie aux projets « bienveillants ». Un argument a été répété en boucle par les délégations africaines et repris un ton au dessus, avec véhémence par Nathalie Yamb du parti Liberté et démocratie pour la République de Côte d’Ivoire (Lider). « Nous voulons que la Côte d’Ivoire se débarrasse des bases militaires françaises qui entraînent des terroristes sur notre territoire. Nous ne sommes pas venus en Russie pour trouver un nouveau maître mais pour faire du business gagnant-gagnant. Le monde doit arrêter de nous voir avec les yeux du storytelling méprisant et mensonger de la France, la Russie a sa place en Afrique« .

« C’est le départ de bonnes relations qui ont toujours existé parce que la Russie n’a jamais colonisé l’Afrique« , explique avec des termes plus modérés, Jeanne-d’Arc Mujawamariya, ambassadrice du Rwanda en Russie. La diplomate est un pur produit des relations passées URSS-Afrique. Jeanne-d’Arc Mujawamariya a fait ses études en Russie grâce à une bourse soviétique, elle s’enthousiasme de ces nouvelles relations mais garde la tête froide. « On attend de ce sommet plus de transparence dans la diplomatie russe envers l’Afrique. On ne dit pas qu’on ne va pas continuer nos relations avec les autres, on a bien sûr des projets en commun avec nos colonisateurs mais ça ne peut pas être le même genre de relation qu’avec la Russie qui n’a pas de lien avec cette histoire tragique« , explique l’ambassadrice.

Pour dessiner la future stratégie d’influence de la Russie, des responsables de médias africains et russes se sont rencontrés mercredi. « Nous pourrions développer un nouveau domaine de coopération médiatique, le monde doit cesser de nous voir avec des lunettes réduites à ses intérêts qui méprise notre histoire« , a déclaré Khalil Hashimi Idrissi directeur de l’agence de presse marocaine MAP. Un message bien reçu par les représentants des agences officielles russes Tass et Ria Novosti qui souhaitent développer leur couverture de l’Afrique. Bientôt l’apparition de médias d’influence « Sputnik » et « Russia Today Afrique » ?

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